Je tiens Robert Enrico (1931-2001) pour un des meilleurs scénaristes de son époque...
Et ce film son chef d'oeuvre ! Émouvant, sensible, jouissif !
Je n'ai pas vu tous ses films mais jusqu'alors, aucun ne m'a ennuyé. Question réalisation, c'est un peu autre chose mais ce film est un de ceux qui a le plus réussi à me toucher, et il ne peut laisser personne insensible : on aime ou on déteste !
Pourtant quelle leçon de vie nous donne celui qui a connu deux guerres dont celle d'Algérie qui lui valut des ennuis avec la censure...
C'est aussi et probablement (sauf contradicteurs) le plus beau film d'acteur de Noiret dont le réalisateur a su exploiter toutes les immenses facettes de son talent... Un film qui devait échoir à Lino Ventura qui se serait peut-être aussi bien tiré d'affaire, mais qui aurait été un peu moins crédible que le natif lillois.
Enrico a des talents dramaturges certains...
Dans ce film-ci, il nous conte une banale histoire de bourges dont un médecin, Dandieu, qui lorsque la seconde guerre mondiale éclate, sont persuadés que ça ne durera pas... et c'est l'exode pour femmes et enfants qu'on met à l'abri en zone dite "libre".
Mes aïeux pensaient aussi que ça ne durerait pas, le maréchal Pétain semblant si sûr d'avoir protégé la "patrie dans l'honneur...."
Puis après nous avoir trempé dans le beau et bon temps d'avant guerre, Enrico entre dans le vif du sujet : femme et fille du médecin seront violées et tuées sous ses yeux et il ne peut qu'assister impuissant à la scène de loin , car devant la cruauté aveugle, automatique et indécente des nazis, et particulièrement de ce détachement de la division "Das reich" qui remontait du sud de la France, il eut été tué lui-même.
Les dirigeant de ce bataillon étant dans un château dont il connaît les moindres recoins, le médecin va ourdir sa vengeance méthodiquement, machiavéliquement, au point de semer la peur des envahisseurs ayant auparavant goûté aux joies des vainqueurs de la guerre...
Je ne raconte jamais l'histoire d'un film et si ici, j'en dévoile un coin mais très peu, c'est pour bien comprendre que le réalisateur fait mieux que nous raconter une épopée historique avec plus ou moins de réalité, mais qu'il nous fait partager les climats dans lesquels ses héros ont vécu : la paix, puis la crainte de la guerre, l'exode, tes tentatives de retrouvailles, un double drame vécu et subi, et enfin la soif de vengeance. Va-t-elle se réaliser ou non ? Et ce sont toutes ces variables qui jouent avec l'adrénaline du spectateur qui instinctivement, se glisse dans la peau du malheureux médecin. C'est moins un film historique qu'une analyse psychologique des victimes de faits de guerre.
Dont on croit toujours qu'elle va s'abattre sur les autres que sur vous-même.
C'est du reste ce que pensaient les ukrainiens avant de voir le colosse russe abattre à petit feu leur pays, et dont on ne sait si David va pouvoir battre Goliath...
C'est merveilleusement filmé, et j'ai d'autant compati à toutes ces scènes que j'ai visité à deux reprises le mémorial d'Oradour sur Glane, rasé bestialement de la carte par justement la division das Reich réputée comme la plus cruelle. Village tranquille anéanti car il aurait abrité des résistants maquisards. En réalité, les boches comme on les appelait alors, avaient pillé, violé, volé, et commis toutes les atrocités qu'on ne peut imaginer...
Jusqu'à mitrailler des landaus et le bébé qu'ils protégeaient comme on en voit au mémorial précité. Jusque où peut aller la cruauté humaine ? De la part de gens qui se comportaient auparavant comme des gens "recommandables"....
Lorsqu'on a toutes ces impressions ancrées dans le cerveau, on en est d'autant plus jouissif quand on voit ces mêmes belligérants expier leurs crimes, avoir autant la trouille de la mort que ceux qu'ils terrorisaient quelques heures auparavant. Et c'est dans cette vengeance qu'on attend que joue Enrico pour assouvir notre jouissance de revanche et de vengeance....
Le climat, l'ambiance nous émeuvent tellement qu'on ne cherche plus à analyser le film comme le font les scalpels des critiques, mais sur le plan de la toute simple humanité...
Les faits de guerre, les bombes et mitraillages sont ici minimisés dans la mise en scène au profit des agapes auxquels se livrent les envahisseurs vainqueurs et on s'y croit, on vit le moment si on se laisse emporter par le côté humain plutôt que technique d'un film et qui ne peut que susciter horreur et indignation .
Alors ce film serait-il parfait ? Dans un casting taillé avec précision, pour moi une seule faute mais de taille : la femme du médecin est jouée par Romy Schneider qui est elle-même née sous le reich allemand et dont l'accent trahit les origines germaniques... Bien difficile à croire même si son nom à l'affiche générait des entrées... Mais on eut peu vivre pire : on avait un temps songé à Deneuve, laquelle n'aurait dégagé aucune empathie...
Ajoutons à cette réussite l'accompagnement musical parfait de François de Roubaix, auteur à succès qui encadre à merveille cette histoire si profondément humaine....
On compatit d'autant plus à ce drame que les ukrainiens sont en train de le vivre dans le déni général et la peur de s'impliquer d'avantage....
"La guerre est faite de gens qui se tuent en ne se connaissant même pas au profit de gens qui eux se connaissent mais ne s'entre-tuent pas..."
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C8 le 18.09.2022-19.11.2023-Ciné+Classic le 02.03.2025-