Le vieux jardin

J'ai découvert ce film réalisé par le coréen Im Sang-Soo, un peu par hasard, il y a quelques années. Très intrigué, ayant vu que le scénario était tiré d'un roman, j'ai voulu le lire car le film me laissait un peu sur ma faim. Bien m'en a pris car le roman apporte bien des éléments notamment historiques qui ne sont que suggérés dans le film et qu'une simple vision peut même négliger. Bref comme souvent, l'adaptation d'un roman au cinéma est d'abord une vision d'un scénariste puis du cinéaste. Dans le cas présent, le livre a notablement été simplifié mais l'essence même des personnages du film a été scrupuleusement respectée.

L'action du film se déroule sur 18 ans entre 1980 et 1997. Le contexte historique du film démarre en 1980 peu après l'assassinat du dictateur Park Chun Hee et la vigoureuse reprise en main du pays par un militaire lors d'un coup d'Etat en 1979. A cette occasion, des mouvements et manifestations éclatent un peu partout notamment à Séoul et à Gwangju, ville du sud du pays, violemment réprimées par le pouvoir central.

Un jeune étudiant, militant, Yun Woo, en fuite se réfugie chez une jeune femme à la campagne, professeur dans un lycée, Yoon-Hee. Malgré sa liaison fusionnelle avec Yoon-Hee, Yun Woo n'a de cesse de vouloir reprendre la lutte contre la dictature et se fait rapidement arrêter puis condamner à perpétuité. En fait il sera libéré après 18 ans de prison sans contact avec l'extérieur.

Le film est monté avec une double perspective sur cette période de dix-huit ans. D'une part, l'itinéraire continu de Yoon Hee qui accouchera d'une petite fille quelques mois après l'arrestation de son ami puis sa galère de mère célibataire rejetée par sa famille et évoluant vers des activités artistiques de peinture.

D'autre part, l'itinéraire discontinu de Yun Woo qu'on voit réfugié chez Yoon Hee et au tout début de son incarcération puis dix-huit ans plus tard à la sortie de prison. Il découvre alors une société qui est méconnaissable et qui a tiré un trait sur le passé. Il apprend qu'il est le père d'une fille et que son amie Yoon Hee, qu'il n'a donc jamais revue et qui n'a jamais pu obtenir un droit de visite, est morte d'un cancer quelques années avant. Pour lui, le film sera sa reconstruction à partir des lettres, des carnets et en particulier des peintures qu'elle aura laissées.

Le montage du film est assez subtil car c'est par la lecture des carnets que Yun Woo découvre et reconstitue la vie de Yoon Hee par de nombreux flash-backs sur leur vie ensemble en 1980 et sur la vie pendant sa détention.

Le film s'achève par une magnifique scène de rencontre dans une rue grouillante de monde à Séoul entre lui et sa fille, déjà quasi adulte. Avec dans la foule, le fantôme de Yoon Hee qui "veille" à ce que la rencontre se passe bien.

Je ne cesse de m'interroger sur la vraie finalité du film (qui a d'ailleurs été le motif de la lecture du roman).

D'une part, sortir de prison après 18 ans et se rendre compte que la société a évolué tranquillement vers un équilibre où les gens ne sont pas si malheureux, n'est-ce pas s'avouer que les luttes sanglantes de naguère étaient un peu vaines ? Au moment du départ de Yun Woo pour rejoindre les grévistes et manifestants, Yoon Hee ne cesse de lui répéter "pense un peu à nous et moins aux autres"

D'autre part, ce "vieux jardin", qu'est-ce que c'est au fond ? L'endroit où on ensevelit toutes ces vieilles utopies qui restent toujours au niveau des idées avant de se terminer en désastre. Le film n'en parle pas mais le livre évoque le séjour de Yoon Hee en Allemagne dans les années 90 au moment de la chute du mur de berlin qui est aussi le symbole puissant de l'effondrement d'une autre utopie.

Film puissant qui fait un très beau portrait de cette femme, Yoon Hee. Pour le fun, le nom de l'actrice coréenne, remarquable, qui tient le rôle est Yeom Jeong-a