Amour, gloire et bonté.
Produit en 1989, « Le Visiteur du Musée » de Konstantin Lopouchanski fait si bien penser à « Stalker » qu’il est presque impossible de le regarder sereinement, tend il penche vers une approche...
le 11 janv. 2017
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J'ignorais tout de ce Konstantin Lopouchanski et je ne suis pas surpris d'apprendre, grâce à SC, qu'il fut l'assistant de Tarkovsky sur Stalker. Le film y fait irrésistiblement penser, de façon implicite (les couleurs fades des scènes de jour) ou explicite (la scène au bord des rails où le héros monte dans le train, la désolation omniprésente).
En ce qui concerne le caractère abscons, Le visiteur du musée n'a rien à envier au film de Tarkovski. Les références religieuses y sont simplement plus présentes, et une culture biblique minimale semble un prérequis pour saisir le propos.
Pour moi, ce Visiteur est une sorte de synthèse du Christ et de Moïse. On ne peut penser qu'au patriarche hébreu lorsqu'il s'agit de traverser une mer (russe, donc rouge !) qui s'ouvre pendant 7 jours avant de se refermer. Les dégénérés, ce peuple opprimé, rejeté des gens "normaux", sont les Hébreux que Moïse libéra de l'esclavage et mena à la Terre Promise. Let my people go dit le negro spiritual. Le vieux Juif qui ne cesse de lui demander d'interpréter les écritures va dans ce sens. Les scènes de train où défilent les dégénérés derrière des barbelés renvoient aussi à la Shoah, donc aux Juifs. Le Visiteur est autant fasciné qu'effrayé par cette mer furieuse qui vient lécher sa chambre - il pressent le danger, d'autant plus qu'on ne cesse de le mettre en garde (les deux aubergistes, le fonctionnaire de l'Etat).
Le Christ à présent. Rappelons que Christ signifie "l'oint" en grec, et le film de Lopouchanski montre bel et bien une scène où un nain, sorte de grand prêtre des dégénérés, vient asperger le visage du Visiteur, le désignant comme le Messie que ce peuple attendait. Les scènes de foule, constellées de bougies, sont splendides ; elles évoquent aussi bien Les harmonies Werckmeister de Bela Tarr que Le cuirassé Potemkine d'Eisenstein. Depuis les oeuvres du génial Serguei, révolutionnaires dans tous les sens du mot, les Russes ont montré un talent certain pour ces scènes épiques.
Mais notre Messie ne découvre sa vocation que progressivement. Au départ, c'est juste un citoyen de la ville curieux de visiter un musée réputé difficile d'accès. Mais, dès la première scène, il a l'impression qu'on lui parle, se retourne brutalement. Assailli de visions, remué par une visite au temple, sollicité par la jeune dégénérée hébergée dans le même hôtel, le Visiteur finit par accepter la mission qu'on attend de lui : trouver le tertre dont parlent les livres pour, peut-être, parvenir à libérer ce peuple. Non sans rebuffades : on le voit verser dans l'insouciance lors d'une fête, rire avec ses hôtes de son projet "absurde pour un homme de la ville", enfin rentrer chez lui malgré les supplications de la jeune dégénérée. Toute cette période de doute est figurée dans des scènes d'intérieur très sombres, éclairées d'une faible lumière rouge. Et là, j'ai regretté d'être devant mon ordi, pas au cinéma...
Il va donc revenir vers ce peuple et se laisser désigner comme l'envoyé. S'ensuit le plus beau moment du film : le Visiteur, errant dans la brume tel un fantôme en implorant le Seigneur, puis aux prises avec les vagues et la tempête, enfin usant ses dernières forces à trouver le tertre surmonté d'une croix (on pense bien sûr au Golgotha).
Le film est profondément pessimiste puisque, bien que le Visiteur ait atteint son but, rien ne semblera changé à l'hôtel. Un très lent panoramique dans la chambre du Visiteur s'achevant devant une fenêtre, qui m'a rappelé là aussi Bela Tarr, évoque l'immuabilité de ce monde triste à mourir. Notre mystérieux Visiteur s'en repartira parmi les détritus comme il était arrivé, sous les cris des oiseaux.
Fort beau, un peu trop nébuleux hélas. Bien dans le sillage de Tarkovsky en somme.
7,5
Créée
le 7 mai 2021
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