La SF soviétique n'est décidément pas la même que la nôtre. Tout du moins, ses oeuvres proverbiales qui préfèrent substituer le divertissement aux questionnements philosophiques et ontologiques. "Le Visiteur du Musée", quoique méconnu du grand public, est souvent mis en avant par les spécialistes du genre. Autant dire que les aficionados de blockbusters seront priés de sciemment éviter ce film sous peine de plonger dans une profonde léthargie.


Konstantin Lopouchanski a d'autres velléités, dirons nous, plus intellectuelles, loin de la SF horrifique. Le contexte est vendeur puisque nous est conté un monde ravagé par un désastre écologique et n'ayant pour seuls paysages que des plaines de déchets en tout genre qui ont transformé le panorama avec toute la laideur de rigueur. Le ciel teinte la Terre d'une lumière blafarde et jaunâtre. On pense parfois un peu à du Sokourov bien que je n'ai jamais su accrocher à ce réalisateur. Sur cette planète exsangue, vidée de toute substance civilisationnelle, se côtoient deux peuples distincts. Le premier est constitué de gens "normaux" dotés de raison et de parole. Le second abrite les "dégénérés" qui ont fait leurs adieux à leur libre-arbitre pour épouser un culte primitif. La religion est leur nouveau credo à ces êtres à la fois analphabètes et dévots, tandis que les normaux sont engoncés dans la résignation et le nihilisme.


Véritable miroir de notre société si jamais elle était amenée à disparaître dans une catastrophe dont elle seule serait responsable, elle filme les rapports de chacun face à une nouvelle vie sinistre et désenchantée. Ceux refusant cette réalité et ayant basculé dans la folie cherchent à extirper leurs tourments dans l'occultisme dont les processions ont de sérieux relents méphistophéliques. Ils semblent aussi doter de capacités extra-sensorielles et de pouvoir influencer les esprits normaux pour les rejoindre. Au centre de ce bourbier, notre héros parcourt ce monde de désolation afin de rejoindre le musée. Il rencontrera diverses personnes sur sa route, normales comme dégénérées. Comme tant d'autres avant moi l'ont remarqué, l'aura de "Stalker" plane grandement sur la destinée du personnage principal. Le musée s'apparentant finalement à cette fameuse chambre salutaire. La finalité sera toutefois plus noire pour notre visiteur. Un achèvement tout en finesse que n'aurait pas renié un Béla Tarr.


S'essayer au visionnage du "Visiteur du Musée" c'est accepter l'idée d'une scène SF parallèle où la lenteur est de rigueur. Les existences des uns et des autres se noient dans un avenir incertain où, dans l'absolu, les prémisses de jours heureux peuvent être saisis si chacun s'en donne les moyens. Les êtres humains sont noyés dans des intérieurs à la pénombre omniprésente, vaincue seulement par des flammes ardentes. La dimension infernale intègre le film du début jusqu'à la fin. Ces décors voient les réflexions eschatologiques et le verbiage mystico-philosophique qui en décontenancera plus d'un se succéder. Tous s'interrogent sur leur moi interne et le sort à venir d'un monde perdu dans un univers à perte de vue et un Dieu qui les a laissés mourir, lassé de leur égoïsme, leur arrogance et leur irresponsabilité.


Fable écologiste à la croisée d'un "Stalker" et "Sur le globe d'argent", cette oeuvre obscure de Lopouchanski est, ne mentons pas, difficile à saisir et voit toute sa puissance exploser lors du dernier quart. Ce défilé macabre de dégénérés, l'abandon sur la plage, l'escalade d'une montagne rappelant le Golgotha et ce finish doux-amer. Auparavant, on ne cachera pas une certaine apathie, dans l'attente d'un réel déploiement de ses objectifs. Un léger sentiment d'inaboutissement qui ne fera pas de l'ombre au passionnant "Stalker" souvent imité mais jamais égalé qui est amplement sauvé par une dernière partie saisissante. Si tout le reste avait été du même niveau, l'hégémonie de l'oeuvre de Tarkovski aurait pu être sérieusement ébranlée. Dommage.

MisterLynch
7
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le 15 févr. 2023

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MisterLynch

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