"Parfois j’ai envie de tout faire sauter. Tout... Au lieu de donner des coups d’épingles."

Encore une belle surprise du côté de chez Belmondo, encore une fois là où je ne m'y attendais pas, après Un homme qui me plaît. Bien au-delà du simple portrait d'un gentleman-cambrioleur, en l'occurrence particulièrement friand des intérieurs bien garnis de la haute société bourgeoise française à la fin du 19ème siècle (avec des coffres-forts, des armoires, des vitrines, des bureaux, formant un décorum très bien reconstitué : on pourrait presque y humer l'odeur du vieux bois), Le Voleur est aussi le portrait d'une solitude. Le personnage de Jean-Paul Belmondo évolue à travers une société en plein tumulte, gangrenée par un ordre bourgeois réactionnaire, corrompue par les rapports d'argent plus ou moins visibles. Sur ce terreau politique de choix, fatalement, la révolte fourmille dans les bas-fonds et l'anarchisme trace sa route. Le ton légèrement amer pour rendre compte de tout cela a quelque chose de très séduisant.


Autour du protagoniste, une flopée de seconds rôles impressionnante : chez les hommes, avec notamment Julien Guiomar dans le rôle délicieux de l'abbé Félix La Margelle et le voleur qui se cache sous la soutane, ainsi que Charles Denner dans celui de l'anarchiste Cannonier pour les plus marquants. Mais ce sont surtout des femmes, aux interprétations soignées, qui fourmillent : Geneviève Bujold, Marie Dubois, Françoise Fabian, la fugace Bernadette Lafont (vue dans La Fiancée du pirate), ainsi que Marlène Jobert. Toutes sont exquises et participent à la création d'une toile de fond politico-sentimentale de qualité.


On aurait pu imaginer un Robert Bresson sur le même thème, mais Louis Malle opte pour une démarche opposée à tout ce qui pourrait avoir trait à la Nouvelle Vague. C'est discret, économe, sans emphase, sans longs monologues, assez littéraire, parfois un peu trop pesant dans ses archétypes, mais sans que ce ne soit vraiment gênant. En filigrane, les conflits de classe de cette époque ressortent doucement, sur lesquels Belmondo surfe délicatement, sans se mouiller, en bon solitaire, presque nihiliste. Comme il le dira en expliquant sa méthode, "Il y a des voleurs qui prennent mille précautions pour ne pas abîmer les meubles, moi pas. Il y en a d’autres qui remettent tout en place après leur visite, moi jamais. Je fais un sale métier, mais j’ai une excuse. Je le fais salement." Dans ce monde-là, les voleurs sont partout, plus ou moins avoués, plus ou moins dissimulés. Les séquences de cambriolage, mi-fétichistes mi-érotiques, exaltant tout le mépris du personnage pour la bourgeoisie, constituent une délicieuse cerise sur le gâteau d'une France capturée dans un magnifique élan mélancolique.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Voleur-de-Louis-Malle-1967

Créée

le 28 janv. 2019

Critique lue 722 fois

19 j'aime

2 commentaires

Morrinson

Écrit par

Critique lue 722 fois

19
2

D'autres avis sur Le Voleur

Le Voleur
Docteur_Jivago
8

♪♫ Gentleman Cambrioleur ♪♫

Par une sombre nuit, alors qu'un long cambriolage est en cours, il est précisé que Georges Randal, escroqué par sa propre famille, était d'abord un voleur par dépit, avant de l'être par plaisir. En...

le 18 mars 2020

27 j'aime

6

Le Voleur
Plume231
8

"Je fais un sale métier, mais j'ai une excuse, je le fais salement..." !

Je fais un sale métier, mais j'ai une excuse, je le fais salement... Pierre Dux, qui l'avait eu comme élève au Conservatoire, avait dit à Jean-Paul Belmondo qu'il ne tiendrait jamais une belle...

le 27 janv. 2017

26 j'aime

5

Le Voleur
Morrinson
7

"Parfois j’ai envie de tout faire sauter. Tout... Au lieu de donner des coups d’épingles."

Encore une belle surprise du côté de chez Belmondo, encore une fois là où je ne m'y attendais pas, après Un homme qui me plaît. Bien au-delà du simple portrait d'un gentleman-cambrioleur, en...

le 28 janv. 2019

19 j'aime

2

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11