All he wants , he takes”



Héros bondissant, virevoltant au gré de sa fantaisie et de ses envies, voleur impénitent, vagabond et profiteur, c’est ainsi que nous apparaît Ahmed sous les traits de Douglas Fairbanks, oeil d’aigle et dents de loup, pas vraiment beau mais diablement séduisant dans son pantalon fluide aux transparences soyeuses qui ondule au moindre de ses gestes, soulignant la finesse du torse glabre et athlétique, dont les muscles jouent sous la peau nue.


L’acteur, qui avait déjà incarné D’Artagnan et Robin des Bois avec bonheur dans les années 1920, n’en était pas à son coup d’essai pour mettre en images, et cette fois de façon grandiose, les exploits d’un habile détrousseur de rue à l’optimisme quelque peu enfantin, reprenant à son compte une idée typiquement démocratique et américaine.


Mais s’il est des films qui sécrètent le plaisir, Le Voleur de Bagdad en est assurément un : décors monumentaux et somptueux voire extravagants, spectacle-ballet chorégraphié avec une grâce qui fait oublier la simplicité d’un scénario signé Fairbanks, on se laisse mollement subjuguer par la munificence et le charme d’un univers des mille et une nuits, où cheval ailé, monstres marins, pomme enchantée, boule de cristal ou tapis volant prennent vie dans un imaginaire onirique .


L’esprit critique ne peut alors que se mettre en veilleuse, le regard se délecter de ce qu’il voit naïvement : on admire, on redoute, on se réjouit, miracle d’un cinéma chargé d’ans qui n’a rien perdu de sa magie.


Qu’il soit étendu nonchalamment près d’une fontaine ou s’empare d’une corde magique pour se hisser, souple et gracieux là où la faim le guide, humant avec délices les effluves venues chatouiller ses narines, notre voleur mord la vie à pleines dents, faisant de celle-ci un perpétuel terrain d’expériences, se jouant avec un art consommé des embûches jetées en travers de sa route, sympathique paria sans scrupules et sans attache qui a fait du Carpe Diem son bon plaisir.


Et c’est dans le palais du calife de Bagdad où il s’est introduit avec son complice, qu’une douce musique, soudain, résonne à son oreille, lui faisant délaisser pour un temps son butin; de la terrasse, Ahmed peut alors contempler le spectacle qui, en contrebas, s’offre à ses yeux éblouis : à demi cachée par la moustiquaire, une beauté endormie veillée par de jeunes suivantes aux formes à peine voilées, pinçant avec une grâce languide les cordes de leurs instruments.


Désormais sa vie, jusque là facile et sans but, va prendre tout son sens : conquérir la princesse, lui le voleur de nulle part, l’aventurier qui n’a pour atouts que son charme de mauvais garçon, son sourire carnassier et son corps d’Apollon.


Comme dans tous les contes merveilleux, et celui-ci n’échappe pas à la règle, l’homme, transfiguré par l’amour va s’amender, trouver la motivation pour gravir l’échelle sociale, devenir digne de la femme aimée et gagner de haute lutte le coeur de la Belle que se disputent trois princes puissants prêts à l'impossible pour être choisis et régner sur Bagdad.


Parmi les prétendants l’on retiendra les noms de Sôjin Kamiyama, "le méchant" du film, serpent asiatique dont les yeux effilés sous les lourdes paupières, laissent filtrer une étrange lueur, inquiétante et fascinante, à l'aura maléfique.


Faire main basse sur la ville et s'en rendre maître, voilà l'unique ambition du redoutable Prince des Mongols, bien secondé par son âme damnée, Anna May Wong, affriolante espionne au service de la princesse, et le Prince de Perse incarné de façon inattendue par une femme : Mathilde Comont.


L'actrice française prête sa silhouette rebondie, toute en courbes et en rondeurs poupines, à ce personnage truculent et haut en couleurs, petit poussah gourmand comme une chatte, qui pousse en avant son ventre replet enrubanné de satin, aux allures de grosse pâtisserie orientale.


Comment, dès lors, Ahmed ne serait-il pas l’Elu ? Il lui aura suffi, ayant escaladé le balcon dans toute sa souplesse féline, d’un regard, d’un sourire, du baiser passionné que ses lèvres impriment à la main qui ne se dérobe point, pour que la princesse ne rêve plus que de lui.


Mais tout se mérite et surtout le bonheur : “Happiness must be earned” proclame la phrase clé qui ouvre et clôt le film : philosophie un peu passe-partout, certes, mais parfaitement en phase avec un Douglas Fairbanks, self-made man au caractère entreprenant qui semble avoir fait sienne cette devise, laquelle récompense le goût du risque et la bravoure en toutes circonstances.


Aventures hors du commun, dangers surnaturels, quête de “l’introuvable” pour les beaux yeux de sa dulcinée, rien ne sera épargné à notre héros, prince des voleurs reconverti en amoureux transi, mais ni les flammes dévorantes, ni les monstres réputés invincibles, ni même les sirènes de la mer de minuit, tentatrices fatales, n’auront raison de son courage et de son amour, et c’est en triomphateur qu’Ahmed reviendra au palais, délivrant Bagdad du joug de l’armée mongole.


A qui aime rien d’impossible, semble proclamer ce film optimiste et bon enfant, reflet d’une époque naïve par bien des côtés, mais qui permet à tous ceux qui le souhaitent, d’échapper à la simple réalité, grâce à cette fête visuelle, ce “rêve sur pellicule”.


Une première dans l’histoire du cinéma américain, une oeuvre poétique et fantastique, qui a su conjuguer les talents d’un grand réalisateur, Raoul Walsh, et de l’homme qui l’avait choisi, épris de nouveauté et mû par une ambition artistique qui fait de ce muet le meilleur de ses films : Douglas Fairbanks.


https://www.youtube.com/watch?v=c10a0o8v66Q

Aurea

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