7 salles. C'est important de commencer cette critique en précisant combien de cinéma en France ont décidé de diffuser ce film : 7 salles. 7 cinémas. Sachant que 50% étaient à Paris, je vous laisse imaginer le nombre de régions qui n'ont pas eu accès au Vourdalak. Et quelle tristesse cela est. 2023 est vraiment une bonne année pour la production de cinéma de genre français, sans parler de qualité, sur les derniers mois c'est quand même : Acide, Le règne animal, le Vourdalak, Vincent doit mourir (une critique arrive vous inquiétez pas), Gueules Noires (une critique arrive ne vous inquiétez pas), et j'en oublie sûrement. C'est un paysage neuf pour le cinéma français. Et pourtant, et bah celui-là il est passé sous silence. Personne, ou presque, n'a voulu tenter le coup. Je parle de 7 salles en France, la séance à laquelle je suis allé était vide. Bon de le préciser. Pour un total d'à peine 2500 entrées. Le naufrage a englouti même la mer.
Mais ça vaut quoi concrètement le Vourdalak ? Parce que des petits films paumés qui ne trouvent jamais le public et qui sont bien nuls ça existe aussi.
Adapté de l'œuvre de Tolstoï (Alekseï par Léon), le Vourdalak c'est la figure consanguine du vampire (je...), une créature suçant le sang de ses victimes, les contaminants et qui a de l'appétit pour ses proches avant tout autre chose. La mystique du film se fait ressentir, que ça soit la première énonciation du nom de la créature, dites par un des enfants de la famille retraçant les dernières paroles du père "Si dans une semaine je ne suis pas revenu, considérez que je suis mort, mais si passé ce délai je reviens, ne me laissez pas rentrer, je serai alors devenu un horrible Vourdalak". Le nom prononcé pour conclure la phrase intrigue non seulement le spectateur mais également le protagoniste, parfaitement étranger à la famille dans laquelle il vient d'atterrir, ne demandant que repos et un cheval; ou encore par son esthétique globale.
Le film baigne dans un grain flou qui donne à l'ensemble une impression de magie déposée sur la caméra. Le tout n'est pas réel. Et c'est également un reproche qu'on peut faire au film, c'est qu'il frôle bien souvent avec le ridicule et le kitch. Tout film d'horreur frôle avec la comédie, le film l'assume parfois très frontalement, et il lui arrive d'être vraiment drôle "Monsieur, si je ne vous tenais pas en respect de m'avoir accueilli chez vous, j'aurais de sérieux doute quant à vous intentions à l'encontre de ce jeune garçon" (alors que le Vourdalak entraîne un enfant de 5ans dans les bois la nuit),mais il est bon que cela ne joue pas à son détriment, et entre la texture de l'image, volontairement vieillotte, mais également le jeu de certain-e-s comédien-ne-s qui peuvent par instant pousser le cabotinage à la limite de l'incrédulité.
J'aime estimé qu'il n'y a pas de mauvais acteurs, que si échec il y a c'est avant tout que quelque chose a merdé en amont. Ce jeu théâtral est évidemment voulu par le réalisateur, et je ne pense qu'iels jouent tous mal par erreur, déjà parce qu'iels ne jouent pas tous mal, mais aussi parce qu'iels ne jouent pas mal tout le temps. C'est par instant. Par dialogues. Comme si certaines répliques ne pouvaient être prononcées sans une pointe de trop dans la voix. Et c'est une évidence quand les dialogues sont aussi écrits. Je ne pense pas que ça soit un défaut. Je peux parfaitement aimer la littérature dans l'oral (titre) mais tout dépend de sa manière d'être rendu à l'écran (je vous jure que c'est pas une métaphore), et force est de constater qu'elle est ici plutôt aléatoire, dépendant de si le spectateur et le/la comédien-ne sont sur une ligne commune. Ca et le fait qu'effectivement, on a du mal à voir l'alchimie entre les personnages. L'acheminement semble laborieux, et on a parfois cette impression qu'ils font ce que le scénario demande sans que cela n'est une véritable cohérence, ou du moins pas aussi logique qu'elle devrait apparaître.
Adrien Beau, dont c'est le premier long-métrage, fait un choix qu'on peut considérer comme culotté (oui monsieur, n'ayons pas peur des mots) dans la représentation de sa créature : c'est une marionnette. Si cela peut rebuter, c'est selon moi un gage de qualité puisque cela entraîne que cette saloperie sera toujours concrètement devant la caméra, sans utilisation d'effets spéciaux numériques. Elle existe concrètement. De par son apparence, elle semble constamment être entre 2 réalités, mais n'est jamais ridicule selon moi, ne sonne jamais faux. C'est un cinéma matérialiste (et vous savez comme j'aime ça), ayant ce rapport de texture, de corporalité qui ne peut s'être exprimé que dans notre réalité, que devant la caméra et non pas devant un ordinateur.
Le film n'est pas modeste sur les scènes d'horreurs. Ne serait-ce que l'acte finale, qui voit les 2 protagoniste (ENFIN) faire jaillir la littérature sur les pages blanches (merde, j'ai filé une métaphore qui n'en était pas une), et alors que notre cher Marquis Jacques Antoine Saturnin d'Orfé (parce qu'il fallait que j'écrive son nom ici par plaisir) arrive à l'acmé du zigounoune (la bite si tu préfères), il se rend compte qu'il vient de forniquer avec le Vourdalak. Ca arrive de confondre ton crush et Nosferatu, nan ? Une séquence angoissante, qui plonge le rapport charnel à celui de la décomposition, où les semences sécrétées par les corps sont bien plus rouges qu'elles ne devraient être. Beaucoup de films se seraient arrêtés à l'objet de désir en soit (Kubrick a très vite mis en place le miroir dans Shining pour éviter de voir Jacques forniquer avec la moche), ici la scène s'instaure et dure, plongeant le spectateur dans le dégoût, l'angoisse et, il faut bien le dire, un léger rire puisque c'est quand même plutôt marrant la nécrophilie, n'est-ce pas ?
Je...
Allo ?
Si c'est une phrase parfaitement débile dans une critique d'œuvre, elle va cependant être justifiée : j'aime le lore du film, l'exposition autour du vourdalak est particulièrement appréciable. L'idée repris du vampire du pieu planté, ici il ne s'agit pas de le tuer en visant son coeur (qui est une symbolique évidente dans l'univers du suceur d'émoglobine) mais de clouer le vourdalak au sol, de l'empêcher de bouger, pour au pire l'immobiliser, mais surtout pour lui foutre le feu. La seule chose pouvant tuer un être déjà mort étant la destruction de son enveloppe corporelle. Mais plus que tout, j'aime la légende de la bête. Qu'elle se propage comme une maladie, que des villages entiers ont été rasés pour éviter que le fléau ne se propage aux alentours. On aborde ici la figure vampirique dans ce qu'elle a de plus maladif, ce n'est pas juste un aristocrate un peu vicieux, c'est un prédateur mental. Détruisant des familles, corrompant les esprits, comme une gangrène se propageant le long d'un corps.
A la frontière entre du Mandico, du Bruno Dumont et Nosferatu, on comprend peut être mieux pourquoi peu de monde (même si 7 salles ça reste bien trop peu) n'a voulu prendre le risque de le projeter. En ressort une œuvre très imparfaite, ne sachant pas toujours où vraiment se situer, mais qui sait pousser certains de ses concepts jusqu'au bout, leur permettant de prendre leur envol et de se détacher d'un film qui aurait pu tomber dans l'oubli et l'anonymat. Je lève de nouveau mon verre aux effets spéciaux autour de la marionnette, merci pour ça, merci pour l'ambiance. Il y a, dans ce film, tout un potentiel malheureusement caché. Une impression d'un film sympathique qui aurait pu être si grand. Et c'est pour ça que j'espère que cette tentative de cinéma de genre d'Adrien Beau ne sera pas la dernière.