Mes frères, mes sœurs je dois vous faire une confession : c'est mon premier Aki Kaurismäki.
C'est dur, je sais.
Bon... Passé la honte de cet affront, il est grand temps de voir ce que c'est Kaurismäki.
Déjà, on parle souvent de restituer un film dans son époque (généralement il s'agit de l'époque de production du film), mais il est toujours intéressant d'essayer de situer l'époque à laquelle se déroule un film. Parfois c'est évidemment simple, 1917 a de grandes chances de se passer pendant la Première Guerre Mondiale, et Un peuple et son roi pendant un événements historiques où les français ont décidé de foutre le bordel pour lutter contre un pouvoir en place. (Merde...).
Mais des fois, c'est plus compliqué : vous savez me situer un film de Dupieux ? Temporellement, une décennie ? C'est tellement un foutoir temporel qu'on s'en fout un peu. Et alors ? Les Feuilles mortes de Kaurismäki s'inscrit, me semble-t-il dans cette deuxième catégorie.
A bien le regarder, le film semble sorti d'une époque révolue. On entend bien à la radio pourtant les bilans informatifs de la guerre en Ukraine, signe d'un temps récent, mais justement, la radio. Pas une télévision n'apparaîtra dans ce film. Quand nos 2 tourtereaux voudront se revoir, ils s'échangeront leurs numéros sur un bout de papier... leurs numéros de téléphone fixe !(bien sûr...). Sans oublier, le cinéma. Alors, Pardon le cinéma (on a encore le droit de dire ça ?) mais bordel de cinéma. Les films à l'affiche viennent quasiment tous des années 60 voir avant (Godard, Bresson, Lean...) mais le film diffusé que nos protagonistes vont voir est The Dead Don't Die, à savoir un film de Jim Jarmusch datant de 2019 (scène d'ailleurs très drôle où deux vieux comparent le film respectivement à Bande à part de Godard, et Journal d'un curée de campagne de Bresson, je vous invite tous à trouver un lien entre ces 3 films...).
Déjà, c'est simple à relever, mais qu'est-ce que ça sous-entend ? Qu'est-ce que ça essaie de dire exactement ?
On peut déjà noter que le film s'inscrit dans la continuité de la trilogie des travailleurs datant des années 90. C'est donc bien un film qui s'inscrit dans un domaine du travail, qui a l'optique de s'y attarder. Parce que finalement ce que vivent Ansa et Holappa, ça n'a rien de particulier à notre époque. Les conditions de travail insalubre, l'alcoolisme des plus précaires, le malaise des relations sociales, ce sont des choses universelles, et ce depuis des décennies. Ce mélange étrange des lieux temporels vient à mon sens que Kaurismäki refuse d'enfermer son film, de le catégoriser temporellement, il ne parle pas d'une époque, il parle de l'humain. (putain c'est beau...)
Et parlons-en de cet humain. Car quand je parle de l'humour du film, ne croyez pas qu'on se poêle la gueule pendant 2h. Déjà parce que le film ne fait que 1h20, mais surtout parce que le film alterne, le film sait capter les instants, de par son dispositif, composé en grandes parties de plans fixes, où la coupe, sans être absente, n'est que peu utilisé, l'objectif étant de laisser le plan exister, le cadre se former, et les acteurs évolués en son sein. Si j'ai déjà parlé de dispositif similaire récemment c'était évidemment pour parler de The Wasteland, film qui abordait également la question de la précarité chez les travailleurs, mais d'une manière bien distincte. N'y voyez pas un film austère comme l'est The Wasteland, bien au contraire, nous sommes pris dans cette vague de chaleur humaine. Dans la tendresse et la gêne du contact humain.
Mais résumé le dispositif Kaurismäki à ça, c'est oublié son grand rapport bressonien : l'acteur. Plus que de l'acteur nous pourrions ramener ça au modèle, défini par Robert Bresson. Tous les personnages du film sont neutres. Le moins d'émotion est véhiculé par le corps en soi du comédien. Bresson rapportait le modèle comme le mouvement du dehors vers le dedans. Ce n'est pas de l'acteur que se crée le jeu, mais parce qui l'entoure, ce qu'on me laisse entrevoir, ou imaginer de lui. Et en faisant ça, en choisissant de ne laisser transparaître qu'une quasi nullité de l'émotion, c'est au spectateur de faire le travail, c'est à lui de mettre dans le film ce qu'il peut y voir.
Le rapport le plus démonstratif dans ce dispositif qui justement ne l'est pas, c'est la relation qu'entretiennent le collègue de Holappa, Huotari, et l'amie de Ansa, Liisa. Ils doivent possiblement se croiser, discuter, malgré la très claire envie de flirt de Huotari, peut être 3 fois dans le film. Et chacune de ces scènes, peuvent être prises d'autant de manières différentes qu'il y a de spectateur. On peut imaginer que finalement Liisa le trouve un peu drôle ce type, ou même carrément gonflant, un certain attrait physique mais rien de plus, on ne sait pas ce qui se joue ici, on crée du vide, un vide que l'on doit combler, en mettant finalement une part de nous. Et attention, il y a une différence entre le neutre et la bête récitation, nous ne sommes pas dans Antigone de Straub et Huillet, ici le jeu existe bien, il y a un jeu, tellement que certaines personnes ont essayé de le narrativiser ce neutre. De lui donner un sens scénaristique. Pourquoi pas finalement, moi je pense qu'il est d'autant plus intéressant qu'il n'est à aucun moment justifier par autre chose que par des choix extradiégétiques, parce qu'essayé de le justifier c'est lui retiré ce qu'il a de beau.
Il faut, enfin je pense qu'il faut, aussi ajouter cependant la tendresse de cette relation principale. J'aime m'attarder sur le côté théorique du film, mais n'oublions pas l'émotion, et les détails. Pourquoi la scène du premier rendez-vous chez Ansa va, selon moi, rester encore un peu dans la mémoire de ceux qui ont vu le film ? Mais parce que cette scène transpire le vrai, transpire l'humain. Quand elle ouvre cette petite bouteille de champagne (de vin blanc ? Je ne sais plus...), et que lui, en bon alcoolo il torche son verre en 10 secondes, en espérant le second. C'est rien, mais déjà c'est drôle. Puis ça dit tout, en quelques instants, quelques actions sur nos personnages. Son alcoolisme, son léger manque de savoir vivre face à l'alcool dû en partie au fait que le reste de son temps est passé au bar avec son collègue, la légère gêne qu'elle ressent face à cet être; qui d'ailleurs physiquement est très atypique, cette espèce de grande perche, qui peut avoir 35ans, comme 50; et surtout le petit point vraiment, dirai-je, adorable : c'est la bouteille en soit. On parle de quelqu'un qui n'a pas énormément d'argent, en recherche d'un emploi stable, mais qui va malgré tout, pour l'intention, acheter une petite bouteille pour le plaisir du repas. C'est adorable, c'est attentionné, c'est tout ça, en 1 minute.
Le film fait aussi preuve d'une autre grande qualité : l'amour. (C'EST BEAU PUTAIN). Vous avez déjà entendu l'expression "une histoire d'amour" sauf que l'amour c'est jamais vraiment une histoire. Sauf dans les films évidemment. Mais l'amour c'est pas linéaire, c'est pas progressif l'amour, la preuve étant que du jour au lendemain ça peut se finir, sans justification, et que du jour au lendemain ça peut reprendre, que l'amour est aléatoire, n'est pas toujours réciproque, bref vous avez compris l'idée. Roméo et Juliette c'est 0,01% des couples (et encore j'oublie la mort par suicide à la fin, sinon là ça descend mais bas...). Mais est-ce que Les Feuilles mortes c'est une histoire d'amour ? Est-ce que Les feuilles mortes avance réellement dans son scénario ? On sent une avancée dans leur sentiment oui, mais est-ce qu'ils s'aiment ? Est-ce qu'ils se le disent ? Le film ne nous offre jamais ce moment. La fin est d'ailleurs quasi muette de sens amoureux. On a cette impression, quand on y réfléchit, que le film s'arrête "au début", s'arrête là où l'amour se forme, mais pas là où il naît. Je veux dire, ils ne s'embrassent pas, pas un mot doux, ils ne se tiennent pas la main, et tout cela combiné à la neutralité du jeu, fait que je n'y ai pas vu de l'amour, une femme heureuse qu'un homme pour qui elle a de l'affection s'en sorte, oui évidemment, mais de l'amour ? Vraiment ? A mon sens, le reste du film ne va pas dans ce sens là.
Si on choisi de voir la fin comme une comédie romantique classique alors oui, à la fin, s'éloignant du cadre, ils partent s'aimant, entourés de 7 nains et de BHL direction Israël, mais le manque de monstration affectif dans cette dernière scène, et surtout l'intégralité du film, nous pousse à croire, à comprendre pourrai-je même dire, que ce n'est qu'une partie, ce n'était qu'un instant de cette relation, peut être l'avant de quelque chose, mais pas la chose en soit.