Si "Princesse Mononoké" avait déjà révélé au monde entier le génie de son auteur, il aura encore fallu attendre "Le voyage de Chihiro" pour que ce dernier soit définitivement gravé dans le marbre. Chef d'œuvre parmi les chefs d'œuvre, il est l'occasion pour le maître japonais de laisser exploser son imaginaire et de faire voyager le spectateur dans l'univers foisonnant d'une culture fascinante (qui ne manquera pas de nous dépayser, nous les occidentaux) pour au final nous faire partager son regard sur le monde.
À travers ce monde gorgé d'excès en tous genres dans lequel voyage la jeune Chihiro, Miyazaki ne fait que tendre un miroir déformant au sien, celui de la société japonaise d'aujourd'hui (et pas seulement ...). À l'image du Sans-Visage - créature terrifiante et grotesque créant de l'or à volonté pour soudoyer n'importe qui, cette société rongée par l'avidité et le pouvoir de l'argent s'englue toujours plus dans appétit morbide qui ne fait qu'accélerer sa décomposition.
Mais toujours chez Miyazaki la grande réfléxion (en général pessimiste) s'accompagne d'une réfléxion bien plus intimiste et porteuse d'espoir. À travers le parcours initiatique de l'héroïne, le cinéaste traite du passage de l'enfance à l'adolescence : un premier amour (quoique peut être imaginaire mais en tous cas bien réel dans le coeur de la jeune fille), l'omniprésence du thème du temps (un parc où ce dernier semble suspendu, un train filant sur des eaux calmes, un dragon-rivière - qui permet à Miyazaki de montrer une fois de plus combien il est un grand poète), la prise de conscience de l'hostilité du monde ... il tire, avec toujours son extraordinaire sensibilité, la quintessence de cette difficile transition, qui verra venir une véritable responsabilisation de l'individu. Un individu qui saura peut être participer à la construction d'un monde meilleur ...
Une fois de plus, les sublimes dessins du réalisateur ne sonnent pas creux et témoignent d'une intelligence rare, d'une capacité à décrire le monde et à en rendre compte inouïe et d'un sens de la poésie incontestable. Une fois de plus, le monde cruel dépeint laisse entrevoir - toujours au plus proche des êtres - la possibilité d'un avenir plus radieux.