Toujours au sommet de son art, ni plus ni moins
Quatre longues années après Mononoke, naît Chihiro.
Si le premier reste éternellement mon préféré de coeur, le second est le choix de la raison.
Le talent de narrateur du Maître, jamais démenti, atteint ici son apogée avec une oeuvre riche, puissante et subtile à la fois.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Chihiro scelle définitivement son entrée de plein-pied au panthéon des légendes de l'animation, lui obtenant la reconnaissance des professionnels et du grand public.
C'est l'oeuvre qui recevra le plus de récompenses et entrées, a fortiori en tenant compte de l'Occident (la réputation de Ghibli et Miyazaki au Japon étant établie de longue date).
Pourtant, elle n'est pas forcément si évidente à appréhender qu'il n'y paraît au premier abord.
Comme le souligne mon estimable confrère @Hypérion, jamais dans sa carrière Miyazaki n'a été si loin dans l'affirmation de l'identité japonaise, dans la mise en images et la défense des traditions.
Le message écologique, indéniable, est ici personnifié de façon bien plus diffuse qu'à l'accoutumée.
Par le biais de personnages mythologiques, mais loin des dieux-animaux de Mononoke ou des Omus de Nausicaa, somme toute explicites, il mélange onirisme et poésie pour livrer sans doute son film le plus abouti, le plus fin, le plus personnel.
Je crois que ce qui frappe avant tout, c'est la réaffirmation de l'espoir placé en l'enfant.
Souvent mélancolique et fataliste vis-à-vis du monde moderne, Miyazaki se réfugie ouvertement dans la confiance qu'il garde pour les générations futures, l'assurance nécessaire, le besoin de croire qu'elles seront mieux informées et qu'ainsi, elles feront mieux que nous.
Les jeunes héros sont légion dans la carrière cinématographique du Maître, il en va même rarement autrement en fait, mais dans Chihiro cela est accentué par la conduite outrageusement immature, égoïste et superficielle des adultes.
L'argent, la nourriture, le matériel constituent leurs uniques centres d'intérêt, là où seuls les enfants vont savoir se concentrer sur l'essentiel, la vie, la magie.
Même ce cheminement est au centre du film, puisqu'il s'ouvre sur une Chihiro désabusée, ne se préoccupant que d'avoir perdu ses anciens amis, que les roses ne soient plus aussi jolies une fois coupées car fânées, et de connaître l'heure du repas.
Rapidement cependant, elle prendra conscience à la fois d'elle-même et du monde qui l'entoure.
Via l'apprentissage d'un métier, du besoin de gagner sa vie, l'observation des comportements de ses contemporains et le contact avec les "esprits" japonais, elle en viendra à l'attitude vraisemblablement défendue par Miyazaki.
Une ouverture sur soi-même et aux autres, la reconnaissance et la défense de son identité, de ses racines et le besoin de vivre en harmonie avec le monde qui nous entoure, l'animé comme l'inanimé.
Beaucoup moins "dur" que son aîné, Chihiro n'en offre pas moins une réflexion profonde et un moment d'intense bonheur, appuyé par une animation absolument impeccable et une musique toujours sur mesure.
C'est sans conteste le film de la maturité pour Miyazaki, qui reviendra vers des choses tantôt plus "brouillonnes" (le Château Ambulant), tantôt plus "légères" (Ponyo).
Ne vous méprenez pas, quand je parle de "brouillon" ou de "léger", ça reste un chef d'oeuvre, mais je n'ai pas ressenti à nouveau le degré d'implication perçu à travers le visionnage de Mononoke ou Chihiro, à ce jour.
Je suis triste en le disant, mais étant donné son retrait progressif du studio, en soi parfaitement compréhensible voire souhaitable, je doute que l'on revoie un bijou de cet acabit dans le futur.
Profitez-en sans arrière-pensée !