Le voyage des damnés pourrait annoncer l'ascension de l'Everest dans la manière qu'il a de se placer juste avant la Seconde Guerre mondiale comme au pied d'une montagne colossale. Pourtant, c'est la mer qu'on prend, laissant l'Allemagne à ses grouillements, n'emportant à bord que de quoi ravir le spectateur avide de confrontation. Cette partition est historique (puisque l'histoire du Saint-Louis est vraie, avec ses passagers juifs et la propagande cachée derrière), mais Rosenberg semble la rejouer tout entière de sorte qu'il est difficile de ne pas être ramené au sauvenir de Titanic (et non pas "du" ; les paradoxes temporels ne sont pas le privilège du cinéma) et de la folle reconstitution qui semble l'apanage de ces deux films nautiques.
Puisant pour son casting dans des noms qui, pour la plupart, ne parlent plus guère aujourd'hui, le metteur en scène se constitue de quoi tenir tout le temps de sa transatlantique : les rôles sont courts et nombreux, de quoi poser des bouées peu sensationnelles mais solides pour la navigation dans les eaux troubles de l'histoire vraie. Il y a des airs d'île au trésor dans cette quête où prennent forme, tour à tour, le nazisme et l'altruisme, la politique et l'humanisme. "Tour à tour", c'est un peu là que le "mât" blesse, ainsi que la ligne de mire du voyage semble floutée comme un horizon pluvieux. Les rôles courts ne sont plus aussi glorieux quand ils prennent les airs de torons d'une corde dont la taille est prédéterminée.
Mais du cocon christieque ainsi concocté, Rosenberg tire le meilleur d'une politique pas rendue intéressante, mais qui l'est toutefois grâce à son contexte bien détouré, avec l'aide des arc-boutants un peu grossiers de la sur-représentation temporelle et géographique (il n'y aucun mouvement autre que celui du bateau). L'époque lui fait bénéficier d'être libéré dans sa sensualité et son honnêteté, et l'on n'a à aucun moment envie de se jeter par-dessus bord.
Quantième Art