Le voyeur représente en effet un véritable tournant dans la carrière de Michael Powell, abandonné par ses associés habituels tels qu'Emeric Pressburger. Le film dérange la critique et le public de l'époque. Aujourd'hui, on redécouvre la filmographie du cinéaste et ce film s'impose comme son oeuvre la plus admirable, au discours le plus pertinent. C'est une réflexion sur le cinéma et les regards mis en jeu au sein du medium . Alors que tout le monde parle des œuvres de Hitchcock comme Rear Window pour puiser ces réflexions sur le voyeurisme cinéphilique, Le Voyeur aujourd'hui s'affirme comme le film méta-cinématographique le plus complet et complexe. Outre les réflexions autour de la pulsion scopique et sexuelle, sur le fétichisme, la domination du regard sur le sujet regardé, qu'il s'agisse des femmes (rousses) ou de Mark lui-même, la caméra comme arme, et j'en passe..., le film est d'une beauté égale à ses films précédents comme le Narcisse Noir ou Les Chaussons Rouges. Les couleurs et le grain de peau sont sublimés par la technicolor, et rien est gratuit, rien n'est là par hasard. Mais ce que j'aime le plus dans le film c'est l'integration du réalisateur lui même. Michael Powell, dans le film de famille joue le père psychiatre scopophile qui se sert de son fils comme cobaye et son propre fils incarne Mark enfant. C'est une manière d'affirmer une filiation entre lui et son deuxième oeil, Mark, celui de l'inconscient et du refoulé. Mark au sein de la diégèse inscrit lui-même son projet filmique dans la continuité des travaux scientifiques de son père. Au sein du film, on assiste à une alternance de plans réalisés par Michael Powell et Mark, il y a bien un jeu de reflet, de dualité et de complémentarité entre les deux. D'autre part, on ne peut pas ne pas remarquer le fetichisme que Mark exerce sur les rousses. Fétichisme dont est atteint le réalisateur lui-même, dont les deux actrices phares qu'il a sublimé à l'ecran sont Deborah Kerr et Moira Shearer. Moira Shearer qui a d'ailleurs un rôle secondaire mais très révélateur de cette filiation au sein du film. C'est donc une réflexion sur sa propre condition de réalisateur que Powell nous livre. Ainsi, le discours du film rend justice aux femmes et à leur image au cinéma en ce qu'il pointe les obsessions masculines, et la domination patriarcale exercées par le cinéaste sur les femmes. Il en fait une maladie, une abomination tout en n'accablant pas son voyeur. C'est vraiment un film beau et intelligent, qui rend vraiment justice et hommage au cinéma. Il mériterait plus d'attention !