C'est seulement du cinéma, n'est-ce pas ?
La réponse est évidente, tant ce que projette Mark à Helen, est marqué du saut du vécu. Que ce soit ces meurtres tournés à la première personne, avec en point d'orgue ce visage figé dans l'effroi, ou cette enfance martyr, ce vieux rêve qui bouge a tout du cauchemar éveillé.
Alors même que Mark se montre timide, gauche, renfermé, il a le charme maladroit et indéfinissable du garçon d'à côté. Qui préfère fuir sa vie pour s'en fantasmer une autre, dans une sorte de mise en abyme sur laquelle le film repose en grande partie. L'envie de cinéma est constamment frustrée, tandis que se pose la question de l'impact de l'image. L'outil est aussi offensif qu'il permet à son utilisateur de se réfugier derrière elle, de s'y substituer.
L'immoral et le choquant se savourent, en témoigne cette manière, pour Mark, de tourner autour d'une de ses victime comme l'araignée tisserait sa toile autour de sa proie. Dans un paroxysme, une jouissance se reflétant dans l'oeil de la caméra pour l'éternité.
Mark rentre dans une intimité offerte ou une impudeur lascive. Mais il n'est pas le seul voyeur de l'histoire, tant presque chacun des personnages gravitant autour de lui ne se prive pas de le suivre, de s'introduire dans son jardin secret ou de violer son espace vital.
Mark a le charme et la fragilité de son interprète Karlheinz Böhm, qui fait de lui un personnage éminemment tragique, dont la folie ploie sous le fardeau d'une enfance sans repos passée sous l'emprise écrasante d'un père ne l'envisageant que comme un vulgaire rat de laboratoire. Le savant fou est conservé presque systématiquement hors champ, c'est sa créature, devenue monstre, qui répète le processus du trauma comme pour l'exorciser.
Et confrontant de la même manière le spectateur à ses propres pulsions, en le mettant dans la position inconfortable du voyeur, en mettant à l'épreuve, parfois, sa patience au terme de scène qu'il sait inéluctable. Où frustration se mêle avec vertige. Comme si le processus était peut être plus satisfaisant que sa satisfaction.
Hitchcock n'est pas très loin. De Palma se souviendra, lui, des techniques et des sous textes utilisées. La caméra, objet maléfique, sera liée pour toujours à la perversion par un cadeau du père à son cobaye. La psychanalyse est toujours en arrière plan, mais la tentative de museler ce qui le ronge auprès de la jolie Helen est vouée à l'échec. Le Voyeur prend acte de la morbidité de son personnage et la met en scène de manière plus qu'audacieuse, surtout dans les années soixante anglaises conservatrices.
Un Voyeur sorti donc bien trop tôt du bois pour prophétiser l'avènement de l'image dont le média fera rapidement son miel.
Behind_the_Mask, caméra magique.