Le Voyeur par OlivierBottin
On cite souvent Psychose comme ayant été un acte séminal du cinéma d'horreur, mais on a un peu tendance à oublier Le Voyeur, qui l'a précédé de quelques mois et qui se rapproche beaucoup du film d'Hitchcock sur certains aspects. Hélas, critiques et public de l'époque n'étaient pas prêts, réservant au film de Michael Powell (qui y a sans doute perdu sa carrière) un accueil glacial baigné de scandale. Le Maître du suspense en a retenu la leçon, en n'organisant pas de projection presse pour éviter de mauvais à priori sur son film : une décision payante, puisque Psychose a reçu à sa sortie des critiques très tièdes mais a déchaîné les passions du public, certainement incité par la fameuse campagne publicitaire. Comme pour beaucoup d'autres films, le temps fera son travail pour réhabiliter le film de Powell, qui y a carrément détruit sa carrière.
Bien sûr, les standards actuels rendent Le Voyeur moins choquant qu'à sa sortie, mais une grande partie de son pouvoir perturbant reste intact. D'abord par son personnage principal, Mark Lewis, psychopathe qui a pour passion de filmer les femmes qu'il tue pour immortaliser leur visage de mort (certainement une des principales raisons du rejet du film - en 1960 jamais un personnage principal n'aura été si immoral), et par le talent de mise en scène de Michael Powell, usant d'une fort belle façon du pouvoir de suggestion à travers la caméra subjective, utilisant régulièrement la couleur rouge de façon symbolique plutôt que de montrer directement les meurtres (particulièrement sur les vêtements des femmes ainsi que sur les décors - d'ailleurs, plusieurs des personnages féminins clés sont rousses), suggérant à la fois le désir sexuel et le meurtre, qui sont clairement associés dans l'esprit malade du personnage. La musique, quant à elle, est en parfaite adéquation.
Mais la raison d'être du Voyeur réside dans la psychologie qu'il dresse de son personnage (les thèmes psychanalytiques ont une importance bien plus grande que dans Psychose), un homme traumatisé par son père qui le filmait lors d'expériences scientifiques sadiques - le passage où celui-ci lui offre une caméra pour son anniversaire traduisant parfaitement les névroses qui hantent Mark, au point de l'obliger à tuer (le thème du traumatisme revient à propos de l'actrice qui découvre le cadavre d'une collègue). On voit donc les côtés humains de ce psychopathe, qui a aussi une intrigue amoureuse (parfois une peu forcée, d'ailleurs) avec son adorable voisine, qu'il aimerait aimer véritablement - le voilà partagé entre ses sentiments pour elle et sa maladie mentale, dont il apprend par ailleurs, au détour d'une conversation, qu'elle est incurable. On assiste donc à une relecture des thèmes de M le Maudit, à la différence qu'on suit le point de vue du tueur.
Je n'ai pu m'empêcher, aussi, de deviner un thème sous-jacent relatif au viol (jamais explicité), tant l'appareil que Mark utilise pour ses meurtres a quelque chose de phallique - après tout, les actes du personnages ne s'expliquent autrement que par le côté pervers qui le caractérise. Un autre des thèmes qu'on peut trouver est celui de la violence dans les films - ce qui est assez ironique vu que c'est précisément ce qui a conduit à l'échec du film.
Bref, je n'ai pas grand chose à dire de plus sinon que Le Voyeur est à voir absolument : c'est un des plus grands films de son genre, qu'on classera volontiers dans la catégorie des "meilleurs films Hitchcockiens qui n'ont pas été réalisés par Hitchcock".