Le cinéaste et son double
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le 16 mai 2023
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On m'avait prévenu en m'emmenant voir ce documentaire : avec ce Vrai du faux il ne faudrait pas espérer du grand cinéma formaliste.
Pas grave au fond. Il y a plein de raisons d'aller voir un documentaire, et l'espoir qu'on m'avait formulé d'avoir droit à une vraie bonne plongée dans la vie africaine suffisait amplement à satisfaire ma curiosité.
Il fallait dire que le postulat plutôt saugrenu de ce Vrai du faux se prêtait plutôt bien à ça.
Il ne s'agissait pas là d'un film prétendant se fondre dans la masse afin de saisir une vérité de la société africaine. À la place on se retrouve avec Armel Hostiou,
réalisateur français, découvrant qu'un faux compte Facebook se fait passer pour lui en République Démocratique du Congo afin de débaucher de jeunes actrices.
Plus qu'à l'immersion d'une équipe donc, c'est davantage à une sorte de vlog que ce Vrai du faux nous invite, et c'est déjà une première force.
Première force parce que, la plupart du temps, dans le documentaire, se pose toujours la question de la véracité de ce qui nous est montré.
La présence de l'équipe de tournage ne corrompt-elle pas la spontanéité ce qu'on nous montre ?
N'y a-t-il pas sélection ? Regard biaisé ?
Plus un auteur cherche à s'effacer et finalement plus on est en droit de se questionner sur le caractère construit du regard qu'on nous propose.
Dans le cas de ce Vrai du faux, en s'insérant lui-même en tant que sujet, l'auteur offre davantage au spectateur la possibilité de considérer tout son dispositif. Car en se posant comme une partie de l'objet filmé, l'auteur nous donne à voir comment l'espace qu'il investit interagit avec lui et, dans le cas de ce film, il faut avouer que ça nous offre des moments vraiment savoureux.
Remonter la piste, interroger les gens, puis piéger le faux alter ego : chaque étape donne lieu à des scènes assez insolites, d'autant plus insolites qu'il s'agit ici de montrer des individus chercher à en duper d'autres.
De là s'installe un drôle de jeu où le documentariste aspire à capter de l'authenticité dans l'édification d'artifices, lui même passant par le jeu artificiel du documentaire.
Et autant ce Vrai du faux n'a effectivement pas grand chose à offrir plastiquement parlant – même s'il parvient de temps en temps à nous gratifier de quelques inspirations paysagères – par contre le film se montre de plus en plus habile dans sa manière de gérer la narration et l'ambiguité.
Car plus le film et avance et plus les questions s'accumulent.
Les révélations tombent, à tel point qu'on est en droit de se demander où se trouve le canular.
Car sitôt Sarah émet l'hypothèse que Peter est sûrement de mèche dans toute cette histoire et que Cromix ne serait en fait qu'un « faux faux » Armel afin de satisfaire le vrai Armel dans sa démarche documentaire, tout un champ nouveau d'interprétation se fait jour.
Forcement on repense à tout ce qu'il s'est passé avant, notamment à la scène où Cromix se fait piéger par Sarah et Armel. La surprise de l'imposteur semblait si naturelle et pourtant elle était peut-être finalement totalement feinte.
Apprendre la supercherie n'empêche pourtant pas Armel de poursuivre son film, bien au contraire, au point même qu'il crédite le faux Armel à la réalisation, laissant le mot chantant de la fin à Cromix et Peter, ceux qui ont pourtant passer le film à le duper.
Mais justement, à quel point Armel a-t-il accepter de se laisser duper ?
N'est-ce pas lui qui, en milieu de film, relance Cromix, parce qu'il estime qu'il « manque » quelque-chose à son film ; un Cromix qui acceptera en échange d'une rémunération, notons le bien.
De ce fait, Armel n'a-t-il pas, par cet acte, littéralement embauché Cromix en tant qu'acteur ?
Armel n'accepte-t-il pas le jeu de dupes dans l'intérêt de son film ?
De là, tout le rôle d'Armel Hostiou devient trouble. Cet Armel qui accepte d'assister et donc d'apporter une caution à des faux castings sans sourciller. Qu'est-ce que cela cache ? Est-ce qu'on a révélé la vérité à ces victimes ? Est-ce qu'on les a payées pour ce qui, au bout du compte, a bien été une prestation d'actrice au service d'un film ?
Jusqu'où Armel a-t-il accepté d'être dupé ? A partir de quand participe-t-il lui même à fabriquer la farce dans laquelle il s'insère et se met en scène ?
La scène du marabout ? Vrai ou faux ?
La scène du passage à la radio ? Vrai ou faux ?
La scène de l'arbre des ancêtres ? Vrai ou faux ?
Et c'est clairement sur ce dernier point que ce film m'aura finalement le plus séduit : sur sa malice à nous questionner sur le vrai du faux.
Car quand bien même ce film nous aurait menti plus qu'il accepte de nous l'avouer qu'il n'a pas pour autant manqué d'éduquer notre regard sur la question.
Parce qu'en définitive, il paraît assez évident que le sujet d'Armel Hostiou était la duperie.
Duperie du faux Armel pour piéger les jeunes-femmes crédules. Duperie des contacts du vrai Armel pour piéger le faux. Duperie du vrai Armel par la simple réalisation de son documentaire.
La duperie est partout dans ce film. Pour gagner de l'argent. Pour accaparer ou se protéger des accapareurs. Pour protéger des sépultures. Pour prolonger un documentaire.
Tout le monde joue un rôle auprès de tout le monde. Et en cela – et c'est tout son succulent paradoxe, ce film parvient à capter quelque-chose de vrai.
Étonnamment, c'est en révélant tout ce jeu d'artifices qu'Armel Hostiou parvient à offrir un portrait à la fois pertinent d'une certaine Afrique, d'une certaine humanité, mais aussi et surtout de tout un art.
Cet art qui au fond l'essence même du cinéma.
Celui d'un auteur qui choisit ce qu'il voit,
Et celui d'un spectateur qui accepte de se faire avoir.
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Créée
le 7 juil. 2023
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