A la manière de Mémoires de nos pères ou de Tu ne tueras point, Ellen Kuras avait toutes les cartes en main pour faire de Lee Miller un jalon du film de guerre. Son sujet, l’histoire vraie sur laquelle il se fonde ainsi que la profusion d’angles intéressants pour l’aborder et en tirer des thématiques fortes semblait du pain béni, pour un Eastwood ou un Gibson peut-être, mais visiblement beaucoup moins pour une Ellen Kuras qui ne comprend pas son sujet et joue de fait la carte mille fois rebattue du biopic convenu et ronflant.
On survole la vie de Lee Miller, sans jamais la saisir, sans jamais comprendre ses motivations, le spectateur suit poliment, sans passion aucune le parcours de cette femme. Les événements évoqués forcent la mine concernée, le genre de mine que l’on se fabrique davantage par respect que par réel émotion en face de ces films "sérieux" qui surjouent la solennité et la révulsion pour mieux dissimuler leur incapacité à nous impliquer voir nous éprouver émotionnellement. Je dis éprouver car l’absence dramatique de violence constitue à mes yeux un problème de premier ordre. Si le projet d’Ellen Kuras est de nous mettre dans les bottes de cette reporter témoignant via ses photos de l’horreur de la guerre, la moindre des choses eut été de montrer la guerre dans toute sa perturbante monstruosité, quitte à choquer les plus sensibles. Au lieu de ça, la réalisatrice jette un voile de pudeur sur la moindre goutte de sang, se donne un mal fou pour dissimuler toute violence dans le flou d’une longue focale omniprésente et téléfilmesque. Visiblement, le débat inepte autour du travelling de Kapo semble toujours vivace, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’un manque de courage de la part de la réalisatrice ? Quoi qu’il en soit, Ellen Kuras rend caduque un projet artistique qui, s’il avait été compris, pris à bras le corps et traité avec une réelle viscéralité aurait pu accoucher d’un film autrement plus intéressant.
Son obsession à vouloir dissimuler cette violence à laquelle la véritable Lee Miller a pourtant été confronté, pousse les personnages à verbaliser sans cesse l’horreur dont ils se font les témoins sans parvenir à nous toucher pour autant, car comme le dit l'adage : une image vaut mieux qu’un long discours. Bref, un film qui passe son temps à hurler d'effroi sans que l’on ne comprenne jamais réellement pourquoi, et allant de ce fait à l’inverse de l’ambition première du cinéma (Show don’t tell). Et si l’on accepte par contrat tacite avec le film que les clichés de Lee Miller sont bel et bien importants, forcé de constater que la puissance de ces photos témoignant de la réalité du conflit aurait été indubitablement décuplée par une mise en scène viscérale et une violence assumée. Outre cela, la Seconde Guerre mondiale est ici reléguée au rang de faire valoir, les combats de Lee pour rejoindre le front en tant que reporter et faire publier ses photos (qui auraient mérité à eux seuls de constituer le cœur du film) sont scandaleusement survolés. A la place de cette passionnante manne thématique on a le droit à l'inconséquente vie privée de l’ex-mannequin filmée en longue focale constante, comme si la réalisatrice craignait de rentrer dans le lard d’un sujet sur lequel elle ne sait finalement que dire. Au final, on sort de la salle avec le sentiment de s’être fait rouler, on rentre chez soit à peine moins ignorant qu’en en partant en pestant contre l’argent perdu pour un inutile ticket de cinéma, là où une simple recherche Google aurait suffit à nous en apprendre plus, là où le simple visionnage des clichés de Lee Miller suffisait à nous faire comprendre la réalité de cette guerre et l’effroi que dût éprouver leur auteur.