Lee pose trois problèmes. Premièrement, le film n’a pas d’œil, ce qui est embêtant compte tenu du portrait de la photographe qu’il entreprend de brosser : la réalisation illustre mais n’incarne pas, les cadrages composent des plans au symbolisme facile – par exemple, Lee Miller et son amie au premier plan avec un drapeau nazi au second, côté droit –, le scénario ne propose aucun parti pris à même d’éclairer les singularités de l’artiste, d’interroger ses zones d’ombre et la tension qui régit son geste, à mi-chemin entre l’art et la publicité à finalités commerciales. Voilà un biopic de plus sous forme de fiche biographique…
Deuxièmement, le film souffre d’une illusion rétrospective qui le conduit à relire l’Histoire avec la connaissance d’aujourd’hui : les dialogues épouvantables insèrent des réflexions sur le féminisme, sur la masculinité toxique et vont jusqu’à établir un bilan humain de la Seconde Guerre mondiale alors qu’à l’époque les déportations demeurent massivement ignorées – la séquence au bar entre les quatre amis ressemble à la lecture d’un encadré issu d’un manuel scolaire.
Troisièmement, l’actrice et productrice Kate Winslet ne disparaît jamais derrière la personnalité qu’elle est censée interpréter : il ne s’agit que d’elle, tout le temps, des poses qu’elle prend, de la poitrine généreuse qu’elle exhibe encore et encore suivant une autocomplaisance fétichiste. Lee Miller n’apparaît jamais comme le témoin des événements historiques mais comme leur centre de gravité ; rien n’existe si elle ne s’y trouve pas, si son appareil photo n’a pas volé de façon impudique des visages et des moments de vie ou de désolation.
Ce long métrage offre en somme au spectateur avisé un contre-modèle du biopic réussi, pousse enfin Alexandre Desplat à se parodier de la pire des façons qui soient – le compositeur signe l’une de ses plus mauvaises partitions. Un ratage à tous les étages.