Après avoir séduit honorablement le public avec son Chronicle, proposant une audacieuse et nouvelle vision du super-héros, tout en réactualisant la technique du found-footage, le jeune réalisateur Josh Trank se voit soudainement confier la responsabilité du reboot des 4 Fantastiques. La franchise Marvel, récemment rachetée par Disney, se donne en effet corps et âme à dénicher des jeunes réalisateurs de talent, dans le but de poursuivre l'univers cinématographique Marvel, initié par Iron Man en 2008. Depuis, les sorties ne cessent de combler nos plannings afin de rapporter un maximum de fonds, pour le dire de manière grossière. En effet, le but initial de ce reboot du quatuor fantastique ne voit malheureusement pas plus loin que cette politique commerciale bête et méchante, parfois même offensante pour les fans, et surtout cette opportunité de conserver les droits sur la franchise. Cependant, beaucoup l'ignorent, Josh Trank ne le voyait pas de cet œil et semblait, malgré la pression des maisons de production, y consacrer une ambition bien plus originale et personnelle.
Sur la toile, c'était une véritable opportunité pour Josh Trank de développer son aura de réalisateur prometteur et ainsi flirter avec la cour des grands, comme l'ont fait Bryan Singer, Sam Raimi ou plus récemment James Gunn avec Les Gardiens de la Galaxie. A vrai dire, c'est une ambition des plus légitime et justifiable lorsqu'il s'agit d'exceller dans sa spécialité, avec un support aussi fort et historique que celui des 4 Fantastiques. Malheureusement, ce reboot ne sera que le signe d'incessants désaccords entre le réalisateur et la 20th Century Fox, le résultat bâclé d'une bataille d'acharnés, réduit de 30 minutes (et oui, d'après les dires de Trank, le film devait durer initialement 130 minutes !), qualifié de "catastrophe industrielle aseptisée et affligeante". Nul doute qu'un tel saccage n'attirera que l'humiliante désapprobation d'une très grande partie du public, ce dernier préférant bien sûr appuyer son avis sur le simple résultat projeté devant ses yeux, ce qui est évidemment compréhensible. Mais sur le fond, Les 4 Fantastiques version 2015 ne mérite sûrement pas un tel traitement...
De prime abord, nous sommes bien loin des précédents opus dirigés par Tim Story. Josh Trank aime le renouveau et réserve un traitement bien particulier à son sujet. Les protagonistes sont rajeunis (exit les tempes grisonnantes de Reed), les liens sont revisités (Susan et Johnny sont frère et sœur adoptifs) et le mode de divertissement réévalué (plus de bagarres crânantes au beau milieu des rues new-yorkaises et de dialogues humoristiques convenus et redondants) au profit d'une intrigue plus ciblée et plus sombre. Autre changement, le réalisateur réinvente en partie l'origine des protagonistes grâce à un concept qui avait plutôt bien fonctionné dans Chronicle. Ici, la découverte d'un monde parallèle au nôtre, à l'aube de son ère, le contact avec l'inconnu mystérieux, inhospitalier, orné de cristaux imposants, de teintes bleutées ou vertes, séquence plutôt accrocheuse même si bien trop courte, rappelant sans nul doute certains classiques de science-fiction, que les fans n'hésiteront pas à valider. Le réalisateur s'autorise également quelques folies avec ce plan séquence meurtrier du Docteur Fatalis, jusqu'au boutiste et fort réjouissant ! Reste ce final, certes convenu et sacrément bâclé, visuellement agréable quoique manquant de muscles... On parle d'effets spéciaux médiocres, c'est juste l'ère des images numériques, qui ont l'audace d'obéir à une logique narrative en plus d'un certain amour du réal pour des design très SF. En clair, il y a de la personnalité à dénicher de toutes ces horreurs.
Il reste certain que ce reboot souffre d'indéniables ratages, à l'image de la structure narrative, montée avec un tel manque d'investissement (la faute à qui ?) qu'il est difficile pour le spectateur de construire une once d'attache envers les personnages. Certaines séquences souffrent de longueurs ou inversement, rendant le corps narratif assez indigeste ; cette impression parfois de passer du coq à l'âne ou de ne pas savourer suffisamment certaines visions plutôt intéressantes. Josh Trank consacre tout de même un minimum d'importance aux thématiques qu'il aborde. Rajeunir les héros pour les confronter à leur insouciance, leurs prises de décisions hâtives, inévitablement fatales à leur existence... L'acquisition de super-pouvoirs est vu comme un accident, une anomalie perpétrée par leur désir de découverte. Enfermés tels des cobayes, leurs pouvoirs privatisés par le corps scientifique, les protagonistes génèrent progressivement un rejet radical de leur statut de surhomme, jusqu'à ce combat final, épreuve initiatique dans leur statut de super-héros. On regrettera cependant une vraie séquence sur l'utilisation et le domptage des pouvoirs.
Si, aux yeux de la plupart, Les 4 Fantastiques version 2015 n'a strictement rien pour lui, il restera le témoin principal d'une incroyable bataille, celle qui oppose un studio et un metteur en scène, un cahier des charges et une idée. Josh Trank s'est opposé à l’écrasante pression de la production pour livrer un film malade, à tel point décrié qu'un projet de suite semble malheureusement compromis. Un conflit évident en somme, mais qui accorde à l'ensemble une dynamique tout de même assez passionnante.