Comme Jackie Brown en son temps, The Hateful Eight divise. Si le film porte la signature de Tarantino — dialogues incisifs, mise en scène millimétrée et violence cathartique — il s'éloigne pourtant de l’ADN de ses œuvres précédentes. Ce n’est ni un western à la Django Unchained, ni un hommage appuyé à un genre unique. Ici, le cadre du western sert de toile de fond à un huis clos glacial et oppressant, flirtant avec l’horreur, à la manière de The Thing (1982) de John Carpenter. Les parallèles sautent aux yeux : Kurt Russell en figure centrale, une cabane enneigée où la paranoïa règne, et une bande originale signée Ennio Morricone, dont les compositions convoquent davantage les tensions angoissantes de Carpenter que l’épopée lyrique des westerns de Sergio Leone.


Cela dit, nous sommes bien chez Tarantino : quelques morceaux anachroniques — comme Apple Blossom des White Stripes — viennent ponctuer la partition, rappelant au spectateur qu'il est en terrain familier.


Le film s’ouvre sur des paysages grandioses du Wyoming, sublimés par l’ultra panavision 70mm, format rare qui amplifie la netteté des images et la profondeur de champ. L’un des plans d’introduction — une croix enneigée surplombant l’arrivée de la diligence de John Ruth et Daisy Domergue — résume à lui seul l’essence du film : une tension sourde, une violence latente, une attente presque insoutenable. Le morceau de Morricone, L’Ultima Diligenza di Red Rock, accompagne ce moment avec une intensité presageant le carnage à venir.


Tarantino prend son temps. C’est là son audace et, pour certains, son écueil. Là où d'autres réalisateurs auraient plié leur récit en deux heures, lui s’attarde. Cette lenteur, pourtant, n’est pas vaine : elle donne aux dialogues une densité rare et aux personnages une complexité palpable. Chaque échange, chaque réplique alimente un puzzle, jusqu’à ce que la tension éclate dans un final explosif. Par ce rythme, le spectateur est pris en otage, tout comme les personnages, enfermés dans cette auberge, prisonniers de la tempête. Une mise en abyme habile où l’ennui devient un outil narratif.


Tarantino brise d’ailleurs le quatrième mur en intervenant lui-même comme narrateur. Cette intrusion, à la fois ludique et cynique, crée une ironie dramatique digne d’Hitchcock : le spectateur sait ce que les personnages ignorent, et la tension monte.


Tout comme Reservoir Dogs, le film use d’un flashback qui renverse la perception des protagonistes. Ce procédé éclaire leur vraie nature : des figures immorales, sadiques, impitoyables. Chacun des huit personnages porte une part de noirceur, et Daisy Domergue, seule femme du groupe, n’est pas en reste. Son visage ensanglanté et son rire grinçant restent gravés bien après le générique.


Le malaise culmine dans des scènes d’une violence à la fois insoutenable et grotesque, comme lorsque le Major Warren raconte son humiliation sadique infligée au fils du général Smithers, évoquant le viol de Marcellus Wallace dans Pulp Fiction. Tarantino pousse les limites du rire nerveux, obligeant le spectateur à s’interroger sur sa propre complaisance face à l’horreur.


Mais The Hateful Eight ne se résume pas à sa violence. Sous son esthétique impeccable, il y a un propos : une Amérique post-Guerre de Sécession, rongée par le racisme et les haines intestines. Chaque personnage incarne une facette de ce pays divisé, où la haine finit par être le seul ciment d’une société fracturée.


Drôle, cruel, virtuose, The Hateful Eight est un film audacieux, à la fois hommage et réinvention. Une œuvre majeure de Tarantino, où maturité et folie se côtoient, prête à rejoindre le panthéon des classiques du cinéma.

AntoineMrt
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le 24 janv. 2016

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AntoineMrt

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