Les films sur la fin du monde, on les connait. On en a eu droit à un certain nombre depuis la naissance du cinéma, et vu que les mayas ont eu la bonne idée d'arrêter leur calendrier dans quelques jours (bonne apocalypse chez vous, au fait), ces temps-ci, on a eu droit à une double dose. La fin, certains l'aiment angoissée (Melancholia), d'autres la préfèrent bordélique (Southland Tales), et quelques énergumènes la fantasment le plus spectaculaire possible (2012, mais chhht, il ne fait pas bon de l'avouer dans ces lieux...). Personnellement, j'ai un goût prononcé pour l'absurde, et ça tombe bien, car sur ce terrain-là Tomas Katz sait se défendre.

Mais voyons ça de plus près : le film commence à peine, et on embarque dans un taxi, aux côtés d'un étrange personnage aux habits de pirates. Il enchaîne sans tarder avec un clip electro qui sert de générique. Car c'est cela, Tomas Katz : un immense clip d'une heure et demie. Attention ! Pas un clip brouillon et mal foutu, non, un clip dans le sens noble du terme : inventif au possible (plein d'idées de montage notamment, mais aussi visuelles et sonores), et doté d'un rythme sans faille. L'influence de l'electro se fait également sentir, tant dans le côté fragmenté que dans l'esthétique urbaine, magnifiée par un noir et blanc de grande classe.

Que le film paraisse fragmenté, c'était prévisible vu le pitch, ressemblant à s'y méprendre à un certain Holy Motors. Mais ça va bien au-delà. Les tons se multiplient au gré des scènes et des envies. Le long-métrage est tour à tour drôle, poignant, inquiétant, envoutant. Étrange en tout cas. Touchant, aussi, dans cette représentation d'un monde sens dessus-dessous, où les fenêtres conspirent, où l'on retourne au japon à la nage, où les enfants jouent du tambour dans des costumes trop grand pour eux et où Napoléon revient à la vie. Mystique, enfin, indéniablement, à tel point que l'une des principales réussites du film est de parvenir à redonner de la magie à la ville, espace déshumanisé par excellence. On est donc dans une tonalité très spéciale, se rapprochant par exemple d'un Dellamorte Dellamore déjà pas mal décalé.

Le film semble avoir été fait avec assez peu de moyens mais le compense, avec une inventivité hors norme comme je le disais plus haut, mais également avec une pelletée d'acteurs tous excellents, à commencer par le premier rôle, Tom Fisher, absolument bluffant dans sa capacité à incarner différents personnages. Par ailleurs, cet aspect patchwork n'est pas totalement gratuit car, si le thème du film est la fin du monde, il ne s'agit en aucun cas d'une explosion dévastatrice ou que sais-je, mais d'une déconstruction méticuleuse, ordonnée et patiente, qui aboutira à l'une des fins les plus parfaites que j'ai pu voir.

Film culte par excellence, Les 9 vies de Tomas Katz mériterait d'être diffusé, connu, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'une expérience de cinéma inédite. Le problème, c'est que s'il est remarquable, il est aussi extrêmement difficile à vendre. Soit. Tomas Katz est donc le type de films qu'on chérit, qu'on aime, et qui semble d'autant plus précieux qu'il est à peu près inconnu. Pour ma part, je continuerais à le promouvoir, à le conseiller autour de moi, en espérant qu'un jour, et tout comme La Clepsydre récemment, le film puisse gagner ses galons d'œuvre majeure, à la fois respectable et complétement allumée.
KreepyKat
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le 3 déc. 2012

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