LES ADIEUX A LA REINE ou l'art de lire le chaos

La subtilité de Benoit Jacquot est de placer la Révolution hors-champ; il se place aux antipodes de la reconstitution historique,fût-elle distancée, et même s'il s'appuie sur l'ouvrage très documenté de Chantal Thomas.On ne voit rien du séisme politique qui bouleverse Paris( ni les émeutiers, ni les lieux, et très latéralement le Roi se risquant à de falotes apparitions) .Là n'est pas la question, et hormis le film à costumes ce n'est pas l'histoire à grand spectacle qui l'intéresse mais le retentissement intérieur dans les esprits en alarme des courtisans réfugiés dans un Versailles décadent et inhospitalier.L'apocalypse politique est montrée autrement; la violence se reporte sur les sons(musique dodécaphonique, inquiétante), les mots lus ou prononcés (ainsi des informations traquées par Sidonie la lectrice ou ce pamphlet terrifiant portant la liste des futurs décapités)les trahisons nocturnes des futurs émigrés fuyant vers l'est en abandonnant le roi, ou encore ces objets-signes(le vol de la pendule annonce les mutations, le dahlia pourpre brodée pour la reine prélude à l'effusion de sang) ; Bref c'est grisant d'être au coeur de l'effarement de la cour avec une alternance nuancée des plans nerveux en caméra subjective et des plans-fixes comme celui qui fige en un tableau les futures victimes.
Le film est découpé en quatre journées-clefs qui exacerbent les vices de cette micro-société en sursis, où
l'étiquette qui fixe les hierarchies a bien du mal à se maintenir tant la promiscuité sociale est grande, facilitant la dépravation des moeurs, les calomnies fielleuses, les identités suspectes( tel le faux gondolier au parler ordurier). Ce délitement général fascine! Au coeur de cette fourmilière, Marie_ Antoinette en "fashion-victim" et son livre des
Atours(anthologie d'un chic fin de règne), sa foucade saphique pour une favorite de glace :G abrielle. de Polignac, et la perfidie à l'égard de sa lectrice transformée en double, et destinée à leurrer l'ennemi pour épargner Gabrielle.
Le film, en reprenant le titre de Raymond Jean aurait pu s'appeler La Lectrice car Sidonie Laborde en est la clef!
Comme Fabrice à Waterloo elle est immergée dans ce lieu des masques et des ambivalences, et tout est figuré selon son point de vue; son visage d'ingénue épargnée par la dépravation la différencie des autres et sa fonction officielle de liseuse la prédispose à décrypter le tumulte; la subtile Léa Seydoux qui l'incarne lit le monde littéralement, à l'affut d'une nouvelle; elle épie, espionne(souvent filmée en train d'entrevoir entre deux pans de tenture ou derrière un fauteuil): elle apprend en glanant de ci de là Jacquot met en scène une initiation en accéléré qui se fait à un moment où l'histoire accélère elle aussi; c'est aussi le point de vue d'une roturière sur un monde en déclin; dans un monde qui change, elle a un visage mouvant qui peut passer de la pruderie offusquée au rire ou à la peur.Miroir de la cour, avec ses fastes, ses turpitudes aussi.De même elle peut elle sait tout lire à la Reine de la déploration au marivaudage cru, et dans une gamme d'intonations qui vont de la confidence polissonne à la proclamation (manuscrit de la Reine). Mais surtout, et là on est au coeur du film, elle charme par cette identité flottante des actrices, endossant les rôles divers, le plus dangereux étant de se glisser dans la robe
verte d'une condamnée et jouer son rôle avec brio lors de l'interminable scène des saufs-conduits. Elle est aussi l'une des rares à échapper à la caricature. A noter la voix off dans l'ultime scène où l'on voit disparaître dans la nuit de la forêt l'équipage, à l'image de l'anonymat historique où replonge, si dévouée, l'Accompagnatrice à la fois loin des nobles ingrats,...et des spectateurs oublieux qui reprennent leur pelisse pour rallier le présent ; les lectrices écrivent souvent le présent
Jean-pierreGay
9
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le 6 mars 2013

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le 6 mars 2013

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Jean-pierreGay

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