Der Himmel über Berlin pourrait se traduire mot à mot par Le ciel au-dessus de Berlin, le mot allemand Himmel pouvant aussi se référer à la notion religieuse des cieux. Cieux désertés par l’ange Damiel, cédant à sa passion pour une mortelle nommée Marion. Plus qu’un simple succès critique, ce film cristallise l’identité d’un réalisateur déjà expérimenté et révèle les traits de son temps.
Les Ailes du désir fut le titre choisi en français, car « qui veut inventer quelque chose commence par-là, par un désir » déclare l’auteur. Wim Wenders fut, tout au long de sa carrière, un glaneur romantique, grappillant parmi tous les arts avec appétit. Cette recherche de goût, avec une note d’éclectisme éclairé, imprègne ce film où se mêlent les vers de Peter Handke, la musique de Jürgen Knieper et celle de Nick Cave.
L’art de Wenders réside dans son aptitude à croiser avec habileté ses inspirations diverses. La poésie de Peter Handke installe un climat nostalgique immédiatement en phase avec le ton de rêverie aérienne des partitions de Jürgen Knieper. Le motif de l’enfance rejoint directement celui du paradis perdu et plus loin dans la culture européenne, le désastre cosmogonique à l’origine de la séparation entre ciel et terre.
Cet ensemble à l’atmosphère élégiaque embrasse le désenchantement contemporain, incarné par Nick Cave. L’allure dégingandée de ce dandy hagard a quelque chose de la fin d’un siècle, presque un soupçon de post-romantisme-post-moderne. Ce dernier endosse un aspect diabolique et représente une sorte de double du héros, passé du spirituel au matériel.
De l’abstrait au concret, Der Himmel über Berlin est également un film sur l’Histoire d’une ville meurtrie : une Histoire balayée en même temps que les cendres de son ancienne architecture, et pourtant omniprésente. Au-delà d’un récit local éloquent, Wim Wenders, en archéologue profane, arpente un passé germanique dans sa dimension culturelle. L’œuvre se présente ainsi comme une sorte de contrepoint du Lohengrin de Richard Wagner : l’infaillible chevalier céleste est devenu tantôt un ange déchu, tantôt une rockstar à l’air sombre. Mais au-delà d’une seule désillusion, le héros gagne la saveur nouvelle du désir.
Auteur : Elio Cuilleron
Site d'origine : Contrastes