Jeanne divise sa vie entre ville et campagne. Elle fuit l’ennui et la vie conjugale avec un mari austère qui ne lui prête qu’une relative attention, préoccupé par le journal local dont il est propriétaire. Jeanne jouit d’une vie mondaine plus palpitante à Paris où son amie Maggy lui a présenté un homme de son cercle d’intimes, un joueur de polo séduisant dont on fait la connaissance au début du film bien avant que Jeanne ne retrouve son mari. Que ce soit lors de séquences à la ville ou à la campagne, la caméra saisit, en s’attardant sur le visage de Jeanne Moreau, un regard perdu dans le vide, un regard profond et mélancolique tourné vers l’intérieur. Jeanne ne trouve le bonheur ni du côté de son amant, ni du côté de sa vie de famille pourtant très confortable. Ce n’est pas un hasard si la rencontre entre Bernard et Jeanne a lieu entre Paris et Dijon, sur le bord d’une route où la voiture de Jeanne tombe en panne : un lieu de transit entre deux genres de vie qui se méprisent l’un et l’autre. Cette rencontre aura pourtant tout l’air d’un hasard. Bernard s’arrête sur le bas-côté et ramène Jeanne à la maison où l’attendent son mari, le joueur de polo Raoul Florès et Maggy. Le premier signe de cette histoire d’amour, loin d’être déjà née, est un rire. Le rire de Jeanne Moreau ; provoqué par Bernard qui plaisante sur le portrait que celle-ci a tiré de son mari. Le rire de Jeanne est peut-être le pic dramaturgique du film. Il dure, il dure ce rire. Il n’en finit plus, sous le regard perplexe d’Henri le mari et des deux amis. Raoul, déconcerté, dira plus tard à Jeanne : « C’est la première fois que je vous entends rire ainsi. », d’un vrai rire, authentique, sincère. Bernard est invité à rester pour la nuit. Le silence est sinistre, l’enchaînement des plans capte les regards lancés par-dessus la table : de Jeanne vers Raoul, de Henri vers Jeanne, de Jeanne vers Henri etc. Henri ne semble pas dupe de ce qui se trame entre sa femme et le joueur de polo et Jeanne le comprend. Raoul n’y voit que du feu. Et se ridiculise. Tout le monde finit par monter se coucher sauf l’invité de dernière minute dont la présence a été jusqu’ici presque occultée par le reste. L’histoire d’amour est alors en devenir. Jeanne refuse de passer la nuit avec Raoul, prétextant le danger de se faire prendre. Or, plusieurs heures après, Jeanne et Bernard marcheront enlacés au milieu du couloir, imperméables au danger d’être pris sur le fait. Un air de musique fait redescendre Jeanne dans le salon en longue chemise de nuit. Personne dans la pièce. Jeanne se sert un verre et sort de la maison. La photographie donne à la nuit, aux jeux d’ombres et de lumière l’aspect enchanté et mystérieux des contes. Un plan d’ensemble montre la villa perdue au milieu d’un parc entouré d’arbres. La lune se réfléchit dans le blanc aveuglant du vêtement de Jeanne. Elle est comme une apparition aux yeux de Bernard qui semble ne pas la reconnaître tout de suite. La voix off, celle de Jeanne Moreau, accentue la dimension du conte, se faisant la voix intérieure des deux amants. Jeanne fuit Bernard qui l’agace par l’entêtement qu’il montre à la suivre. Et le changement s’opère soudain. La caméra s’attarde sur le visage de Jeanne : l’agacement se mue en amour en passant par tous les types de variations. Tout cela se lie sur le visage de Jeanne, en l’espace de quelques secondes, son regard s’adoucit, la scène est sublime. Alors, les deux étrangers devenus amants se promènent dans un décor qui semble fait pour eux. Tout leur semble possible. Ils disparaissent et réapparaissent parmi les ombres. La nuit est protectrice. Tout semblera se compliqué au petit matin. Mais pour le moment la nuit est à eux. On pourrait regretter la scène de la barque, risquant de faire basculer l’amour soudain des deux amants dans un romantisme mièvre, puis la musique trop présente lors de la nuit d’amour dans la chambre de Jeanne, insistante. Un écrin peut-être trop étouffant pour recevoir les mots d’amour des amants décidés à partir au petit matin. Lorsque les amants remontent du jardin dans la chambre, la présence de la fille de Jeanne nous est rappelée, à nous, et aux personnages, cruellement, en cette heure égoïste qui est celle de deux amants retrouvés. Jeanne le dit à Bernard : « Je te connais depuis toujours. »
Lorsque les amants quitteront le plus simplement du monde la demeure d’Henri, ce sera sans plus d’explication (comment expliquer ce passage du vouvoiement au tutoiement en une nuit ? Nuit qui n’est que quelques heures pour les uns, un siècle vécu pour d’autres), sans éclat. Le jour est moins protecteur que la nuit. Dans la voiture puis au café, on retrouve le regard perdu dans le vague de Jeanne Moreau, en proie au doute. D’autant plus que la présence d’un jeune enfant dans le café où le couple s’arrête lui rappelle la petite fille qu’elle a laissée derrière elle. Jeanne se retourne et se regarde dans un miroir, elle se découvre : étrangère à elle-même ou enfin elle-même ? Son regard semble interroger sa propre image.