J'ai l'impression que tout ce que Mizoguchi filme est vrai – en tout cas qu'il a été filmé exactement à la hauteur où il devait être. Qu'un homme et une femme se déclarant leur amour sur une barque qui coupe un lac, je ne sais pas, qu'il y a quelque chose de vrai là-dedans. Pas réel, juste vrai. Que quand il regarde ça, c'est tout un monde qu'il regarde et qu'il partage, et ça me touche énormément.
Le plus beau des cinémas est le cinéma des glissements, les films qui évoluent, qui avancent, qui disent des choses et deviennent utiles, parce qu'ils se dérobent et partent en quête de quelque chose qui les dépasse ou leur fait battre le cœur. Le cinéma de Mizoguchi me semble être cela, et sa grandeur si particulière vient d'abord de la tranquillité avec lequel il aborde ce glissement : glissements tranquille, qui ne se base que sur la force des images, les idées qui coulent autour d'eux, et sur leur vérité. Ca ne raconte rien d'autres : des personnages immobiles qui commencent à bouger, et ainsi devenir des corps, mobiles, qui se débattent. Des personnages qui oublient l'honneur, l'argent, la place dans la société, et qui décident de fuir et d'aimer, mus par une force indicible - celle que Mizoguchi tente de filmer. C'est un corps qui frôle un autre, puis l'étreint complètement. Une porte battante qui souligne la prise de conscience... C'est une forme de révolte intérieure, une idée qui bouge et se transforme en mouvement, que la technique pure et belle du cinéaste installe pour décaler le plan et le hanter. La trajet de cette barque dans la nuit, ce glissement qui touche au plus profond des choses, c'est sa vérité, et cette vérité là devient alors quelque chose : voici tout à coup l'image dépassée, voici soudain un film - voici soudain le cinéma, et c'est merveilleux.