Eros et Thanatos sont toujours potes aux dernières nouvelles
Entre navets, déceptions, et autres petites découvertes mineures, il arrive parfois qu'un grand film puisse me sortir de ma léthargie cinéphilique et me fasse tout d'un coup reprendre foi dans le cinéma. Parfois, on déniche une perle et elle est d'autant plus belle qu'on ne l'attendait pas au tournant. Les Amants Crucifiés, c'est ça. Petite séance de fin d'aprèm à la Filmothèque à l'improviste avec un pote, je n'avais jamais vu de Kenji Mizoguchi et je décide de ne rien en espérer. Pour tout dire, j'y vais presque à reculons, je suis crevé, j'ai pas mangé de la journée et j'ai une pâteuse de la mort. Et puis, coup de théâtre : la puissance du chef d'oeuvre comme un coup de poing dans la cage thoracique, en plein coeur. Il y a un moment où les mots ne suffisent plus à décrire une émotion artistique, il y a un moment où il faut juste se rendre à l'évidence : c'est beau. Mais pas un "c'est beau" de circonstance, balancé entre la poire et le fromage. Plutôt une envie de gueuler sur tous les toits "C'EST BEAU PUTAIN !!!!"
Mizoguchi pense le cinéma un peu comme son compatriote et contemporain, Yasujirô Ozu. Chez l'un comme chez l'autre, tout est dans le cadrage parce que tout est dans le plan fixe. C'est un cinéma nippon classique, hautement discipliné, mais qui se permet plus d'une audace esthétique, avec de superbes plans naturels, dont la beauté est consolidée par une photographie noir et blanc délicieuse. Un régal pour les yeux. Mais pas seulement. Un régal pour les sens parce que le japonais livre ici une des plus belles tragédies romantiques qu'il m'ait été donné de voir, où l'érotisme latent (quelle tension sexuelle putain ! En 1954, les gars !) se combine avec une fatalité mortuaire. Le destin des deux amants est scellé, on le comprend très vite, et c'est toute la force du film que de lier étroitement l'amour véritable (et authentique, il suffit de la puissance d'une étreinte ou d'un regard de femme pour le ressentir chez Mizoguchi) et la mort certaine. Elle rôde, la Faucheuse, et si elle finira par cueillir nos deux tourtereaux, ce ne sera qu'au terme d'une ballade interdite d'une rare tendresse, et avec l'espoir fécond de s'aimer au-delà de la mort. Eros et Thanatos, Thanatos et Eros, et même Eros dans Thanatos.
Ben moi, devant cette histoire, j'étais comme un con béat d'admiration et les larmes aux yeux, au sortir de la projection.