Caracas s’impose d’abord, bruyante, grouillante et sale, pleine de vie et de circulation, et Armando est là au milieu de cette agitation, suit de jeunes garçons en débardeur à la peau moite et leur propose un peu d’argent pour un peu de leur temps. Le temps de les ramener chez lui, de fermer les rideaux et simplement les regarder, sans les toucher, à moitié nus, en se masturbant en silence… Et puis un après-midi, Armando croise la route d’Elder, petit caïd des rues avec qui ça commence mal, menaces, beigne, vol, pour finalement se mouvoir en une relation ambiguë où les deux hommes s’attirent et se rejettent, entraînés quelque part entre dépendance maladroite et tentations épidermiques.
C’est cette lente évolution, cette métamorphose des sentiments, que Lorenzo Vigas observe au plus près, puis les associant, les situant au cœur d’un enjeu psychologique autre, celui de l’absence. Absence d’un père, que n’a jamais connu Elder ; d’un père que méprise et rejette Armando, jusqu’à vouloir s’en débarrasser… Ce rejet ne s’exprimera, en outre, jamais totalement, restera une zone de flou délibérée. Y a-t-il eu inceste (sur Armando et/ou sa sœur) ? Abandon, violences, mort peut-être (de la mère) ? On ne saura pas. On ne saura rien, à l’image de ce dénouement lapidaire qui laisse indécis davantage, et soucieux alors d’interpréter les motifs d’une impulsion profonde dans sa volonté, implacable dans son exécution.
Le film se plaît à cultiver, sans doute, un peu trop les non-dits, la réserve, et perd de fait en incarnation (et en émotions) malgré la belle opacité des personnages, et devient un objet aride que renforce une mise en scène à la limite, toujours, de la maîtrise et du hiératisme (hors-champ et profondeur de champ très travaillés), héritière marquée de Robert Bresson et Michael Haneke. Mais l’intensité du rapport entre les deux amants, la sécheresse d’écriture, la force brute et physique de certaines scènes et l’interprétation d’Alfredo Castro, génial déjà dans Tony Manero, et génial ici en quinquagénaire taiseux et sereinement pervers, et de Luis Silva, magnétique en racaille butée (et dont les lèvres, charnues, vaudraient tout un poème), parviennent à distiller suffisamment de troubles et d’étonnements pour nous emporter dans cette quête (é)perdue d’avance du père (volatilisé) et du désir (dépossédé).
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)