Une fois n'est pas coutume, il faudra passer outre l'emphase accordéonnée du titre français pour accéder à la moelle de Cheatin', le nouveau film de Bill Plympton. Car de "cheating" il s'agit bien pour le couple au centre du film, après une éblouissante scène de rencontre dans une fête foraine : passé le bref moment d'idylle initiale, Jake trompe Ella tout le jour durant dans une chambre d'un motel piteux, et elle, désespérée, tentera d'abord de le faire tuer avant, avec l'aide d'un magicien, de tricher en se fondant dans le corps de toutes les femmes qu'il satisfait. Transposer sur le terrain d'une animation fantasmagorique, complètement anarchique la bataille amoureuse, voilà une idée brillante autant que, je dois l'avouer, très déroutante pour moi dont c'était la première expérience de ce cinéaste : les dessins, se jouant de la perspective, déformant grotesquement les corps, ne sont qu'un chaos de formes primaires et minimalistes où toute la place est laissée aux visages hypertrophiés et sur-expressifs, où les yeux explosent de leurs orbites et les bouches sont des gouffres engloutissant l'écran.

Cette esthétique s'avère redoutablement efficace et raccord avec le propos, l'incarnant de manière particulièrement intense et comme seule l'animation pouvait le faire. Le film donne à voir les amants comme de véritables monstres de désir, de jalousie primale et de souffrance, qui ne s'expriment pas par des mots mais par des manifestations primaires et pulsionnelles : des rires compulsifs, des larmes qui coulent à flots continus formant une traînée ruisselante derrière chaque personnage, des cris de jouissance pure ou de douleur paroxystique...Une bestialité dominante qui, malgré son incontestable puissance évocatrice, peine aussi (du moins pour moi) à susciter une réelle empathie, tant cette vision hystérique et foraine de l'amour et du corps, toujours au bord de la surchauffe, tend et épuise les nerfs. Mais la cohérence visuelle du film est redoutable, sa vision des amoureux comme êtres suprasensibles constamment au bord du pétage de plombs est saisissante : ces Amants Electriques sont sans doute un grand coup de jus donné au cinéma d'animation moderne, mais j'imagine que, novice de Plympton, j'ai été trop ébouriffé pour l'apprécier à sa juste valeur.
jackstrummer
6
Écrit par

Créée

le 29 avr. 2014

Critique lue 368 fois

5 j'aime

jackstrummer

Écrit par

Critique lue 368 fois

5

D'autres avis sur Les Amants électriques

Les Amants électriques
Moizi
8

Même les caricatures ont une âme

Ah Plympton on ne l'avait plus vu au cinéma depuis 2008 avec son excellent Des idiots et des Anges, et là il revient après 6 ans pour un nouveau film haut en couleur. Parce qu'il faut bien comprendre...

le 29 août 2014

11 j'aime

Les Amants électriques
jackstrummer
6

Les plombs qui pètent

Une fois n'est pas coutume, il faudra passer outre l'emphase accordéonnée du titre français pour accéder à la moelle de Cheatin', le nouveau film de Bill Plympton. Car de "cheating" il s'agit bien...

le 29 avr. 2014

5 j'aime

Les Amants électriques
Gritchh
6

Suranné

Les dessins animés long métrage pour adultes (je veux dire : non majoritairement destinés aux enfants) sont suffisamment rares pour mériter notre intérêt et notre respect. Les personnages et les...

le 30 avr. 2014

5 j'aime

Du même critique

Last Days of Summer
jackstrummer
4

Tutti frutti summer love

Young Adult a représenté pour Jason Reitman un tournant plutôt désagréable : de satiriste tendre et gentillet auteur de trois premiers films charmants, il devenait soudain, adoubé par le public...

le 3 mai 2014

9 j'aime

5

Only Lovers Left Alive
jackstrummer
5

YOLO

Après celle en pédant aux moeurs distendues de Von Trier, la tendance de ce début d'année est à la mise en abyme des cinéastes confirmés dans des films de genre à clé, où l'ombre d'un égo envahissant...

le 22 févr. 2014

8 j'aime

2

La Voie de l'ennemi
jackstrummer
3

Indigeste

Ah, le tourisme cinématographique, quel fléau ! C'est au tour de Rachid Bouchareb de satisfaire sa faim de grands espaces et de cow-boys au grand coeur en transposant ses apatrides d'Indigènes à la...

le 13 mai 2014

5 j'aime

1