Une fois n'est pas coutume, il faudra passer outre l'emphase accordéonnée du titre français pour accéder à la moelle de Cheatin', le nouveau film de Bill Plympton. Car de "cheating" il s'agit bien pour le couple au centre du film, après une éblouissante scène de rencontre dans une fête foraine : passé le bref moment d'idylle initiale, Jake trompe Ella tout le jour durant dans une chambre d'un motel piteux, et elle, désespérée, tentera d'abord de le faire tuer avant, avec l'aide d'un magicien, de tricher en se fondant dans le corps de toutes les femmes qu'il satisfait. Transposer sur le terrain d'une animation fantasmagorique, complètement anarchique la bataille amoureuse, voilà une idée brillante autant que, je dois l'avouer, très déroutante pour moi dont c'était la première expérience de ce cinéaste : les dessins, se jouant de la perspective, déformant grotesquement les corps, ne sont qu'un chaos de formes primaires et minimalistes où toute la place est laissée aux visages hypertrophiés et sur-expressifs, où les yeux explosent de leurs orbites et les bouches sont des gouffres engloutissant l'écran.
Cette esthétique s'avère redoutablement efficace et raccord avec le propos, l'incarnant de manière particulièrement intense et comme seule l'animation pouvait le faire. Le film donne à voir les amants comme de véritables monstres de désir, de jalousie primale et de souffrance, qui ne s'expriment pas par des mots mais par des manifestations primaires et pulsionnelles : des rires compulsifs, des larmes qui coulent à flots continus formant une traînée ruisselante derrière chaque personnage, des cris de jouissance pure ou de douleur paroxystique...Une bestialité dominante qui, malgré son incontestable puissance évocatrice, peine aussi (du moins pour moi) à susciter une réelle empathie, tant cette vision hystérique et foraine de l'amour et du corps, toujours au bord de la surchauffe, tend et épuise les nerfs. Mais la cohérence visuelle du film est redoutable, sa vision des amoureux comme êtres suprasensibles constamment au bord du pétage de plombs est saisissante : ces Amants Electriques sont sans doute un grand coup de jus donné au cinéma d'animation moderne, mais j'imagine que, novice de Plympton, j'ai été trop ébouriffé pour l'apprécier à sa juste valeur.