Pedro Almodovar est un pitre. Depuis la Movida de la fin des années 1970 il nous amuse, nous choque et nous divertit de ses films, d'abord comédies baroques et foutraques, à moitié hystériques, puis de grands mélodrames lyriques, et enfin une série de films plus complexes, entre mélodrames flamboyants, comédies satiriques et films noirs modernes. La Piel Que Habito était une variation cruelle et ambigüe sur la chirurgie et l'identité sexuelle et on se demandait quel genre de film pourrait bien faire l'espagnol avec ça.
En attendant de revenir à un grand sujet, Almodovar a voulu se faire plaisir et sortir cette comédie "à l'ancienne" que d'aucuns jugeront de film mineur ou de parenthèse. Il n'en est rien. Certes le film ne paie pas de mine à priori : décors kitchs et laids, scénario bête comme chou, vulgarité et ringardise... Il ne faut pas bouder son plaisir devant l'insolence d'un tel cinéma. Avec vitalité, jeunesse et moult clins d'oeil, le cinéaste aligne et recompose les figures de son cinéma d'hier et d'aujourd'hui. Prétextant un huis clos en avion, il s'amuse à structurer et hiérarchiser l'espace à bord : la scène est constitué de quatre espaces : le cockpit pour les pilotes, les coulisses pour les stewards, la classe affaire pour les personnages principaux, et la classe éco, droguée, où tout le monde dort et qui par conséquent intervient peu. Entre ces espaces minutieusement cloisonnés, tout est affaire de circulations : les stewards (tous gays, évidemment) paniqués s'agitent et vont d'une pièce à l'autre, s'arrêtant en coulisse le temps de se refaire une santé avec un cocktail ou un peu de drogue. Ces séquences, hilarantes, où ils préparent, consomment ou vomissent leur mixture sont des moments de bonheur pur. On y voit ainsi préparé un cocktail à la mode dans les années 80 mais agrémenté de mescaline. Cette drogue sera à l'occasion d'une longue séquence orgiaque d'une audace et d'une liberté folles, emportée par la musique "Skies Over Cairo" de Django Django, que j'étais pour ma part très surpris d'entendre ici.
Et de quoi discutent tous ces personnages ? Principalement de cul : le jeune marié drogue sa compagne et la baise à moitié consciente, son énorme pénis à peine caché excite une passagère ingénue, vierge et voyante ainsi qu'un gros steward en manque, le pilote est bisexuel et se tape un des stewards, mais il le trompe avec le co-pilote qui se découvre accro de la bite, et une des passagères est une des dominatrix les plus célèbres d'Espagne. Les dialogues sont ainsi truculents, souvent vulgaires et assez cru il est vrai, mais pour peu qu'on soit ouvert à cet humour (qui est d'ailleurs la marque de fabrique de ce cinéaste), on passera un bon moment. Ajoutez à tout cet embrouillamini les effets dévastateurs de l'alcool et de la drogue sur les confidence et vous obtiendrez un beau bordel que le scénario du film dévoile avec une grande intelligence : les séquence sur terre (grâce au téléphone) sont drôles et touchantes et les relations qui s'esquissent entre les personnages permettent d'aborder avec humour des problèmes culturels (les rivalités entre les différentes culture hispanophones dans le monde) ou sociaux et politiques (la corruption des élites, leur relative décadence suggérée par le personnage de la dominatrix "qui a couché avec le N°1 d'Espagne", la crise économique et la gestion catastrophique des budgets : l'aéroport fantôme dans la région de Barcelone, scandale énorme en Espagne).
Bref le film est un divertissement de haute facture, bien plus malin et riche qu'il n'y paraît et que certains ne veulent le croire, je n'ai pas grand chose à rajouter la critique de Philippe Rouyer dans Positif est excellente et en dit bien plus que moi.