" Il n'y a de vrai au monde que de déraisonner d'amour "
Entretenir le fantasme d'un "qui m'aime me suive". Jouant l'insouciant et le ténébreux, Nicolas se joue également des sentiments de ses deux nouveaux supers amis: Marie et Francis, toujours prêt à se passionner pour ses longues tirades, à lui offrir tout et n'importe quoi et à faire semblant que ses "je t'aime" soit aussi banals que de se brosser les dents.
Ce personnage, au centre de toutes les attentions subit de grandes variations fantasmatiques: quand placé sur un non-décor il est transporté dans l'imaginaire de Francis, qui ne s’inquiète pas outre mesure de l'amour possible entre Nicolas et lui quand il l'entend clamer haut et fort "Audrey Hepburn, c'est la femme de ma vie ! "
Marie et Francis sont donc des rêveurs d'amour, que même de nombreux amants ne peuvent détourner de leur cible principale, un amour presque pur pour Marie ("pas besoin de baiser" dira-t-elle),amour plus cru, plus ardent pour Francis (il s'amourache des vêtements du bellâtre dans une scène qui frôle le ridicule)... Mais ce sont aussi des objets entre les mains de Nicolas, qui n'hésite pas à s'amuser avec eux, à serrer son corps prêt d'eux, à les inviter à la campagne (qui donnera lieu au "c'est beau la campagne" de Marie, prête à n'importe quoi pour s'attirer les faveurs de son bel apollon) avant de les jeter tous les deux sans cruauté mais avec une indifférence qui soudain ramène férocement sur terre ("j'aurais toujours quelque chose sur le feu").
Mais ces personnages là sont surtout des objets de la caméra de Xavier Dolan qui en fait des expériences: ralentis qui suit le mouvement amoureux, course dans les bois, garde robe modifiée et suivie au millimètre. Il fait de Marie, incroyable Monia Chokri, une héroïne colorée, pimpante, un brin "anachronique" (comme ses robes), au visage rempli de mimiques, il l'entraîne alors dans le monde féminin d'Almodovar, et il fait de Francis, interprété par lui, une sorte de "beau, jeune (...) qui sent la pluie, l'océan..." bref, un cas d'école (depuis 2 films déjà), que cet être perdu, un peu lâche qui aime en rêve et qui a toujours un temps de retard sur sa rivale. Et quand ces 3 là se retrouvent au lit se battant pour ne pas être au milieu, on obtient un joyeux trio qui nous fait penser au cocktail explosif des "Chansons d'amour" d'Honoré
Dolan rejoue ici "L'art d'aimer", qu'il distille même en musique (comme le "bang bang" qui signe le coeur amoureux) et en témoignages (la caméra qui bouge sans cesse est un peu agaçante et maladroite), où se croisent des amoureux qui s'émerveillent, se désillusionnent, attendent, fantasment et finissent par pardonner d'interminables retards parce que, je cite, "on trouve toujours des excuses à celui que l'on met sur un piédestal".
Les amoureux transis sont de grandes sources cinématographiques car ils sont tout autant drôles que touchants et perdent, à un moment le contrôle, mais ne lâchent jamais. et recommencent au premier regard croisé. De la première, à la dernière scène, Dolan montre qu'il fait de l'identité et de l'amour un échantillon propice à son cinéma fait de fulgurances et de références mais qui lui permettent d'imprimer sa marque dans un esthétisme travaillé qui le mène à "dolaniser" tout ce que sa caméra effleure...