A seulement 21 ans, à l’âge où la plupart d’entre nous s’alcoolisent dans les soirées étudiantes des centre-ville universitaires, Xavier Dolan réalisait déjà son deuxième long-métrage. On comprendra donc aisément que le film ait les défauts de ses qualités, les défauts de cette jeunesse trop narcissique, souvent maladroite, parfois maniérée, pour ne pas dire prétentieuse.
Si le film n’a pas l’authenticité de J’ai tué ma mère ni encore la maturité de Mommy, il n’en reste pas moins intéressant dans la vision du triangle amoureux qu’il nous offre. Une vision à la fois totalement fantasmée et tellement réaliste. Dolan s’y met en scène au summum de sa beauté et il faudra m’expliquer comment Monia Chokri n’a pas pu émerger après une interprétation comme la sienne.
Qui n’a jamais aimé en silence ? Qui n’a jamais attendu une réponse ou un coup de téléphone qui n’est jamais venu ? Qui n’a jamais pardonné un retard pourtant un peu trop long ? Qui ne s’est jamais imaginé des scénarios pleins d’espoirs avant une soirée ? Qui n’a jamais dit « je t’aime » à quelqu’un qui aurait « préféré qu’on reste amis » ? Qui n’a jamais été déçu en amour et ne s’en est jamais remis ? Qui n’a jamais connu la tristesse de l’abandon ? Qui n’a jamais connu l’amour ?
En effet, impossible de ne pas se reconnaitre dans ces personnages empêtrés dans leurs sentiments et prêts à tout pour « être en amour avec l’amour ». Et qui mieux que Dolan pour filmer avec autant de véracité ces sentiments, de l’amour naissant à la haine, en passant par la jalousie maladive, la déception ou l’abandon. Toutes ces sensations qui animent les personnages autant qu’ils ravivent des souvenirs en chacun de nous sont dépeints avec perfection.
Cinéma du sentiment et cinéma du mouvement. Chaque sourire, chaque caresse, chaque corps, chaque larme, chaque courbe, chaque nuage de fumée est sublimé. Tout ici est beau et triste. Nos amis ressemblent à James Dean (Xavier Dolan) et à Audrey Hepburn (Monia Chokri), tandis que le sujet de notre passion dévorante se transforme en un dieu grec aux cheveux d’ange (Niels Schneider). Tout est fantasme. Tout n’est qu’amour imaginaire.
Alors on reprochera au réalisateur sa prétention de vouloir jouer dans la cour des grands en s’inspirant, ou en copiant, des réalisateurs confirmés comme Christophe Honoré ou Wong Kar Wai. Certes, trop d’inspiration finit par tuer l’inspiration et, par moments, le film finit par ressembler davantage à une fiche technique de la Nouvelle Vague qu’à une œuvre originale. Mais il n’en demeure pas moins que les scènes inoubliables s’enchainent, tout comme les moments de grâce visuelle, auditive aussi, sur fond de Bang Bang chanté en Italien par Dalida ou de ces corps au ralenti sur Pass this on de The Knife.
Ce film est beau, imparfait, mais tellement beau. Un peu comme l’amour.
Finalement un peu comme ces amours imaginaires qui sont aussi un peu les nôtres.
Et n’oubliez jamais, l’amitié avant l’amour. L’amitié avant, toujours.