Je ne veux pas critiquer, juste réfléchir.
Parce qu'au fond, ça raconte quoi, les Amours Imaginaires ?
A l'évidence, c'est une histoire de triangle amoureux. L'affiche est claire en l'occurrence : deux éplorés poursuivant un bellâtre.
Donc des thèmes classiques de souffrance amoureuse, qui ici frôlent les thèmes de la souffrance d'être soi, dans la logique du film de jeune adulte, ou du film d'apprentissage.
Les deux amoureux seraient-ils interchangeables ? (comme les personnages de L'Ecume des Jours, de Vian qui selon l'auteur peuvent interpréter chacun le rôle des autres ?) Parce qu'au fond, ils vivent la même situation tous les deux, toute en émois privés, en rancœurs contenues, en espoirs fragiles.
En réalité certaines scènes seraient plus audacieuses, presque subversives, en échangeant les personnages - voire "hors de toute réalité sociologique" - imagine-t-on Marie se masturber la tête enfouie dans un t-shirt ?
D'un autre côté s'il ne sont pas interchangeables ce n'est que parce que notre réception d'eux ne leur en laisse pas la possibilité ; dans leur grande majorité, les événements, les émotions pourraient avoir de manière indifférenciée l'un ou l'autre des protagonistes
Si l'on admet que les amoureux sont interchangeables, leur différence de sexe et de sexualité devient anodine ; on n'a alors pas un film sur l'homosexualité en particulier (sans vouloir nier la présence du sujet dans le film), mais sur le désir amoureux avant tout.
Toutefois on retrouve des thèmes chers à une vision "queer" et "camp" de la vie, alors même qu'on rejette l'homosexualité au second plan, au niveau du contenu narratif.
Queer pourquoi ? L'esthétique bien sûr. Les couleurs saturées, vives (on pense à Demy). Les corps magnifiés dans une lumière sculpturale, l'attention aux visages maquillés, aux vêtements, aux coiffures. Une esthétique de pub de parfum, en somme.
Alors, le triangle amoureux des Amours Imaginaires, une histoire futile et superficielle d'hypocrisies entre amis ? avec tous ces éléments, pas vraiment, il serait plutôt question de la dissimulation d'une souffrance personnelle derrière le masque et la fête - dans une logique camp, de distanciation théâtrale. Camp : le masque, la paillette, le kitsch, le toc, tout ce qui a l'air d'une chose, et qui est en réalité autre chose, un masque donc mais un masque dont on voit qu'il est masque (d'où l'attention relevée plus haut à tous les éléments de l'apparence). Des personnages qui souffrent d'amour, non partagé ou non avoué, mais dissimulent cette souffrance sous une prétendue amitié toujours souriante, dont les failles sont visibles, c'est, au-delà de l'hypocrisie, une situation camp.
C'est pas seulement ça, parce que ça pourrait très bien, là, n'être que futilités. Si je me permets d'utiliser le terme camp, c'est parce que ça va plus loin. Il y a dans les Amours imaginaires mythification de soi et de la vie pour progresser, mythification faite par l'auteur et les personnages (par le biais de références au cinéma, à l'art, la musique, la littérature...)
par exemple, la photo de James Dean, brandie par Francis à sa coiffeuse, dans le but de se changer lui-même en séducteur désinvolte, tout en étant également un moyen pour le réalisateur de placer son film dans univers mythologique fait de citations constantes.
Mythification de l'autre aimé aussi, par le biais du désir amoureux qui le place au rang des chefs-d'oeuvres intimes comme les dessins érotiques de Cocteau, ou universels comme le David de Michel-Ange..., mais pas seulement par ces références culturelles, aussi par des références à des expériences vécues
les marshmallows qui tombent en pluie sur Nicolas dans le bref fantasme de Francis.
Mythification même explicitée dans le titre, puisque ces amours ne sont que fantasmées.
Si les Amours imaginaires rappellent d'abord des thèmes assez XIXe du mal-être et de la souffrance amoureuse, c'est aussi un film très ancré dans une certaine culture camp des années 60 à 80 (de Demy à Pierre & Gilles, au niveau de l'esthétique et des topoi), mais d'une telle jeunesse, et si vivant, qu'on ne pas le croire nostalgique ; à l'image des confessions face caméra, il affirme une résistance, une envie de vivre ; c'est douloureux, forcément, mais pas mélancolique.