Les années 1930 furent sans conteste l'âge d'or des films de gangsters. Avec la Prohibition lors de la décennie précédente, puis son abolition, ces personnages ont crevé l'écran dans des films tels que Le Petit César (1931) avec Edward G. Robinson, Scarface (1932) avec Paul Muni, ou encore L'Ennemi Public (1931) et Les Fantastiques Années 20 (1939) avec James Cagney. Ce dernier, grand habitué des films du genre, légendaire gangster des salles obscures, est d'ailleurs à l'affiche des Anges aux figures sales, réalisé par Michael Curtiz, futur réalisateur de Casablanca.


Le gangster est une figure iconique, celle d'un guerrier des rues, charismatique et terrifiant à la fois. La plupart des précédents films de gangsters exposaient d'ailleurs ce type de personnage, œuvrant notamment lors de l'époque de la Prohibition, période de contestation et de défiance vis-à-vis des forces de l'ordre et du gouvernement. C'est à cette époque que Jerry et Rocky commettaient des petits larcins pour se faire un peu d'argent, jusqu'à ce que Jerry se range en devenant prêtre, et que Rocky devienne un gangster réputé dans le trafic d'alcool. A la fin des années 1930, le contexte est différent, la Grande Dépression a sévi, appauvri de nombreux foyers et envoyé des milliers d'enfants et de jeunes dans les rues. On retrouve d'ailleurs dans le film de Michael Curtiz des personnages rappelant Les Enfants de la Crise, incarnant ces jeunes livrés à eux-même.


Rapidement, Curtiz oppose le prêtre et le gangster dans leur influence vis-à-vis des jeunes. Bien que tous deux bienveillants, le second gagne davantage leur respect par son charisme, son intelligence et sa force de caractère. Trahi et délaissé par ses anciens alliés, Rocky est devenu un gangster désœuvré et sans territoire qui cherche à définitivement régler ses comptes. On constate, au fur et à mesure que l'intrigue avance, à quel point les gangsters représentaient des modèles pour ces jeunes sans avenir ni famille. Mais, contrairement à la plupart des films du genre, Rocky n'est pas un gangster foncièrement mauvais, cherchant à la fois à rétablir la justice et à aider des jeunes à retrouver leur chemin. Cependant, la présence de son meilleur ami, devenu prêtre, permet d'offrir un regard différent sur ces hommes dangereux pour la société.


Car, là où la plupart des films de gangsters font de leur héros des martyrs, sacrifiant ces guerriers des rues sur le champ de bataille, Les Anges aux figures sales prend le contre-pied de ce parti pris. Le prêtre véhicule le message transmis par Michael Curtiz dans son film : les gangsters appartenaient à une autre époque, la Prohibition est terminée, les règlements de compte doivent cesser, et la fragilité des jeunes des rues ne doit pas être exploitée pour en faire, à leur tour, des gangsters. Il faut désacraliser cette figure, casser cette image et laisser les gangsters dans le passé, à une époque où l'on ne veut plus d'eux.


Les Anges aux figures sales prend un chemin différent des habituels films du genre. Si Jerry le prêtre incarne la sagesse et Rocky le gangster la fouge et l'impulsivité du cœur, ce ne sont pas des personnages réellement opposés, mais plutôt complémentaires, permettant d'éviter au film de montrer de grosses ficelles laissant deviner son dénouement. James Cagney, comme à son habitude, livre une prestation sublime et touchante dans un film qui se veut proclamer l'adieu aux gangsters, livrant un message engagé encourageant à ne plus commettre les mêmes erreurs que dans le passé.

JKDZ29
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de gangsters, Les meilleurs films avec James Cagney, Les meilleurs films de 1938 et Vus en 2018 : Explorations filmiques

Créée

le 10 févr. 2018

Critique lue 339 fois

4 j'aime

7 commentaires

JKDZ29

Écrit par

Critique lue 339 fois

4
7

D'autres avis sur Les Anges aux figures sales

Les Anges aux figures sales
greenwich
8

Les anges aux figures sales

Il s'agit d'un film noir, en noir et blanc. L'histoire se déroule à New York dans les années 30, période de grande crise économique. C'est surtout une histoire d'amitié, le destin de deux copains...

le 3 avr. 2015

10 j'aime

8

Les Anges aux figures sales
abscondita
8

Critique de Les Anges aux figures sales par abscondita

Il y a parfois dans la vie des événements qui font basculer une vie dans un sens ou dans un autre. C’est ce qui arrive dans Angels with Dirty Faces à Jerry et Rocky deux amis d’enfance, deux garçons...

le 29 déc. 2021

7 j'aime

Les Anges aux figures sales
JKDZ29
8

Requiem pour un gangster

Les années 1930 furent sans conteste l'âge d'or des films de gangsters. Avec la Prohibition lors de la décennie précédente, puis son abolition, ces personnages ont crevé l'écran dans des films tels...

le 10 févr. 2018

4 j'aime

7

Du même critique

The Lighthouse
JKDZ29
8

Plein phare

Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de...

le 20 mai 2019

77 j'aime

10

Alien: Covenant
JKDZ29
7

Chronique d'une saga enlisée et d'un opus détesté

A peine est-il sorti, que je vois déjà un nombre incalculable de critiques assassines venir accabler Alien : Covenant. Après le très contesté Prometheus, Ridley Scott se serait-il encore fourvoyé ...

le 10 mai 2017

75 j'aime

17

Burning
JKDZ29
7

De la suggestion naît le doute

De récentes découvertes telles que Memoir of a Murderer et A Taxi Driver m’ont rappelé la richesse du cinéma sud-coréen et son style tout à fait particulier et attrayant. La présence de Burning dans...

le 19 mai 2018

43 j'aime

5