Les anges déchus est une promenade nocturne dans les rues étriquées de Chine. La croisée de personnages, de sentiments et d’émotions. Dans le domaine du film choral, Wong Kar Wai n’en est pas à son coup d’essai puisque l’on retrouve ce modèle à travers ses premiers films.
Nous suivons un tueur à gage qui tente de se remettre de sa rupture avec sa partenaire. Enfin peut-être. Rien n’est sur tant Les anges déchus offre une narration décousue et sans enjeux. Les séquences virevoltent entre les différents protagonistes et leurs pensées, leurs vies, leurs désespoirs. Habituellement, certains voient de la poésie dans la réalisation de Wong Kar Wai, ici elle se fait massacrer. D’une part à cause du montage, saccadé, cuté en permanence, ne laissant aucune ambiance s’installer. La caméra offre une proximité avec les personnages, dans un presque effet fish-eye, toujours en mouvement, comme un papillon nocturne qui refuserait de dormir une fois le jour levé. Le réalisateur nous ressert ces effets qu’il affectionne tant, ses ralentis déraisonnés, les noir et blanc pleins de bruit, un grain de pellicule qui salit l’atmosphère déjà bien triste des rues chinoises. Car les seuls beaux plans que l’on trouve sont ses intérieurs qui, une fois fixes, deviennent de superbes œuvres d’art, rapidement évaporées à travers la vivacité d’une caméra en perdition.
Le manque de logique semble être le fer de lance de ce métrage qui balance un à un des personnages dans son champ, sans réel lien les uns avec les autres. De Johnny et sa gachette facile à la nettoyeuse et ses scènes érotiques, en passant par ce garçon muet aussi creepy qu’amusant, rien ne les rassemble et rien ne les éloigne. Michelle Reis, sublime dans sa démarche, les lèvres vermeille, la grâce dans les scènes où elle s’allonge. Elle, si peu développée, si mise de côté, là où elle aurait pu être le cœur de cette histoire, tant pour sa lassitude que pour ses pensées. On retient sa beauté, mais c’est à peu près tout, elle s’efface derrière la dame blonde et cette autre brune, les personnalités hystériques. Car tout est dans l’excès avec Kar Wai : sa sur-esthétisation, la violence des gestes, les comportements humains totalement désaxés. Aujourd’hui, si une femme est triste dans un film, il faut la montrer hurlante, le visage plein de larmes, du genre à frapper dans les murs, pleine de fragilité et de sensibilité. Jamais elle ne sera fière, jamais elle ne pleurera dans un coin, en laissant l’eau tomber de ses yeux en une rivière poétique qui creusera ses joues, doucement, avec sincérité. On la préfère folle à lier, violente, en crise, habitée de désir et à la fois fuyante, perturbée, animale, lunatique.
Ce n’est pas pour rien qu’ « hystérie » vient d’ « uterus ».
Wong Kar Wai en fait trop, trop souvent, à chaque fois. Rares sont les instants présentant quelconque retenue ou exerçant le pouvoir de suggestion. Les anges déchus pleurent, hurlent à la lune, détruisent des âmes, sortent les armes, se rencontrent et s’oublient, se fascinent et se délaissent. On ne gardera que quelques instants de beauté, d’autres assez drôles qui frôlent le ridicule en l’évitant de justesse, mais pour cela il faut redécouper le film dans sa tête, se remémorer quelques séquences abordables, car si l’on repasse ce film dans son ensemble, seule une bouillie de cris noirs en ressort.