Les anges violés n’est pas un film qui se raconte mais un moyen-métrage qui doit être vu. Partant d’une intrigue érotique (des infirmières font l’amour, à la vue de toutes) au virage dramatique (un homme entre dans le bâtiment et se mettra à les tuer, impassible), ces images déploient finalement la trajectoire d’une victime de la société, coupable de n’être jamais parvenu à aimer.


Cet homme, sans nom ni émotion, est d’abord et seulement présenté comme un handicapé de l’amour : la scène d’ouverture en récit-photographique montre comment il se retrouve enfermé dans cette position de voyeur de femmes, empêché de vivre pleinement, à la vitesse de vingt-quatre images par seconde, comme les autres. Invité à admirer l’une des extrémités du spectre des sensations perçues par le vivant, celui-ci ne cherche qu’à imiter et participer… avec les gestes qui lui sont siens. Coups de feu, violence, torture. Traditionnelle métaphore phallique, l’arme à feu viole et tue des innocentes, anges secouristes séquestrés au sein même de l’hôpital. Wakamatsu dans son geste politique, n’oublie toutefois pas d’être optimiste envers l’être humain, comme en témoigne cette fin grandiose et irréaliste où la dernière survivante, en cherchant à comprendre le tueur, s’insère dans son mode de fonctionnement et parvient à traduire ses actes, à l’aide d’une chanson, en gestes tangibles, tendres et sensibles.


Entre l’amour et la violence, le personnage principal avance sur un fil. En quête perpétuelle d’un échappatoire à cet éclairage minutieux, faisant de son visage un champ de guerre en mille nuances, l’usage soudain de la couleur annonce une sortie de secours. La torture d’une de ces femmes devenue statuette indéchiffrable laissera la place à une course finale sur le sable, près de la mer, où plans larges et grands espaces sont synonymes de sérénité retrouvée. Revenant sur les lieux du crime, la caméra est enfin capable de montrer la scène composée de cadavres (exquis) en couleur, la réalité pouvant être décryptée à la suite de notre plongée dans l’âme du tueur. Ce visage doux, entouré du malheur qu’il a semé auparavant et sur lequel on ose imaginer un sourire n’est qu’éphémère. Alors qu’on se prend d’empathie pour lui, la police vient à sa rencontre, en noir et blanc évidemment, car l’incompréhension chez le spectateur a changé de camp.


Avec ce film, Kōji Wakamatsu propose un symbole parfait de la spécificité et l’intérêt du pinku eiga (genre de cinéma érotique japonais traduit par « film rose »). Ce cinéma de genre pris au sérieux par les artistes japonais cristallise quelques unes des tensions politiques propres aux années 1960. S’il est ici question de virilité toxique et impuissance sexuelle à travers cet homme inspiré d’un fait divers (le tueur en série américain Richard Speck), les studios n’hésiteront pas à produire des films subversifs, traitant autant de l’impérialisme américain (Neige Noire, Tetsuji Takechi, 1965, poursuivi en justice pour indécence) que de la précarité de certains quartiers tels que Shinjuku (Nuits félines à Shinjuku, Noboru Tanaka, 1972). Pendant ce temps, en France, nos grands-parents s’extasiaient devant « LE » film érotique cul-culte : Emmanuelle (Just Jaeckin, 1974)…

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le 19 nov. 2021

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