N'en déplaise aux plus aigris des lecteurs de Télérama, le cinéma, en plus de constituer un art, s'est imposé comme un incroyable créateur d'univers. C'est probablement une des raisons de son retentissement populaire et c'est là qu'Hollywood puise sa légitimité. Et tant mieux ! Quel médium peut se targuer d'avoir mis en place une machine à rêve aussi puissante que la saga Star Wars ? C'est ce qui explique le succès chez une génération entière d'Harry Potter. L'attrait de ces films pourtant tout-à-fait perfectibles, c'est le plaisir de la découverte. Rentrer dans Poudlard, pour les pitoyables moldus que nous sommes, produit un sentiment unique. Tout dans le premier opus réalisé par Chris Colombus s'articule autour de cette sensation d'immersion: la direction artistique, la mise en scène ou la partition musicale extraordinaire de l'ami Williams. L'occasion d'expérimenter à son maximum ce que beaucoup ont appelé "la magie du cinéma".
Seulement voilà: dans le beau monde du blockbuster, l'ère des genèses d'univers est terminée . Place à l'exploitation de franchise. Tout n'est que résultat d'études financières et conjectures anticipant les désirs d'un public normalisé. Non pas que cette logique purement économique n'aie jamais existé dans ce qui est avant tout une industrie, mais les majors sont désormais parvenues à atteindre leur objectif ultime: conditioner un public désormais blasé par l'amas informe de grosses productions déboulant chaque semaine en salle. Surprendre et émerveiller n'est plus rentable: il faut exploiter des matériaux déjà bien connus afin de ne pas trop sortir d'une certaine zone de confort. Logique quand on voit les flops démentiels des quelques tentatives d'originalité (coucou Lone Ranger) de ces dernières années.
C'est dans cette optique que se place Les Animaux fantastiques. Impossible de débuter une critique du film par l'analyse des enjeux artistiques; ils sont inexistants. Il faut partir de l'opération commerciale extrêmement efficace de Warner Bros: utiliser comme prétexte l'adaptation d'un microscopique ouvrage de J.K Rowling pour capitaliser sur le petit sorcier à lunettes... sans même le faire apparaître à l'écran. Nul besoin d'un réalisateur doté de la moindre once de talent. Le Yes-man le plus opportuniste d'Hollywood fera l'affaire, c'est un habitué de la maison. La présence au générique de l'auteure millionaire compensera bien l'embauche d'un metteur en scène qui, dès qu'on lui laisse un minimum de liberté, accouche d'un navet intersidéral tel que Tarzan et ses lianes autotractées. Faire monter une hype avec du vent, voilà l'exploit des Animaux fantastiques.
Et forcément, le résultat en pâtit. Long-métrage anonyme remplaçant simplement les gunfight par des éclairs de baguette, l'ensemble manque tellement de personnalité qu'il en devient risible. Car il faut avouer que transposer le conte original dans un contexte réaliste génère des incohérences grossières. La magie est bien pratique, elle permet de palier tous les besoins du scénario. Un écueil qui serait à peu près pardonnable si celui-ci n'accumulait pas les poncifs du genre, enchaînant des rebondissements téléphonés et des structures bancales. Un seul objectif: préparer le succès des 5 films (!), tous réalisés par Yates (!!). Encore une fois, les impératifs financiers transcendent la liberté artistique. Tout n'est qu'une vicieuse roublardise visant à compenser le manque d'inventivité d'une mise en scène effroyablement standardisée par la présence de la magie, dénuée de tout intérêt sans l'esprit de découverte évoqué plus haut. On pourrait louer l'absence d'un fan-service qui tenterai de remaker l'original (coucou Star Wars: Episode 7), mais il faut admettre qu'à la vue de ce divertissement dépourvu d'âme, on ne gagne pas vraiment au change.
Un exemple de cette mécanisation déprimante: la scène d'introduction, expédiée après littéralement trois plans absolument incompréhensibles. Moins d'une minute pour signifier que oui, il existe un méchant, sans se préoccuper d'attribuer la moindre esthétique à la scène. Un exemple caractéristique d'un je-m'en-foutisme assumé. Pourquoi chercher à établir une tension dramatique quand teinter d'une magie factice un film générique bâclé suffit à faire le faire exploser au box-office ?
Difficile donc de parler de quelconques choix artistiques concernant Les Animaux fantastiques. La distribution relève d'une vaste blague mercantile, qui exhibe fièrement l'air ahuri de la star la plus "bankable" du moment pour orner l'affiche et qui utilise une figure idolâtrée comme cliffhanger. Le reste du casting ? Inconsistant, voire gênant dans le cas du moldu -pardon, du non-maj'- jouant le rôle de faire-valoir sans réellement de succès (il est gros donc il rentre pas ah ah). La bande originale est difficile à apprécier tant elle se fait discrète, un comble pour une franchise dont une des plus grandes réussite réside dans la force de sa musique. Restent des scènes de capture plutôt plaisantes grâce à des effets visuels irréprochables, certains designs des animaux en question assez originaux hérités de l'oeuvre originale et une reconstitution plutôt fidèle du New-York de 1926. Mais fondues dans cette masse fainéante et malhonnête, ces qualités ne pèsent pas bien lourd.
Cependant, Les Animaux fantastiques marche. Car au final, tout ce que les spectateurs en retirent, c'est la proximité avec la saga exploitée. De la poudre de cheminette aux yeux d'un public rassuré: les films médiocres auxquels il est habitué sont enfin teintés de quelque chose qu'il connait et qu'il a aimé.