Les Années difficiles raconte, avec l’amertume de la comédie italienne, causée par l’échec national de la guerre et la douleur inconsolable des morts, l'histoire d'un employé municipal de Modica, Aldo Piscicello, qui bascule malgré lui du côté du fascisme.
Humble père de famille commandant tant bien que mal à la maison, gratte-papier craignant son supérieur au bureau (le podestat, sorte de maire), Piscicello se voit confronté à un dilemme : perdre son modeste emploi ou adhérer aux forces fascistes. Homme sans idéologie, sans véritable volonté propre, il cherchera la réponse ailleurs qu’en lui, demandant conseil à ses amis qui refont le monde dans l’arrière-boutique de la pharmacie, écoutant, non sans répugnance, sa femme et sa fille qui, séduites par le Duce, le somment d’accepter, finissant fatalement par succomber à la pression socio-économique.
Ainsi Luigi Zampa présente d’emblée le fascisme comme une absence de liberté, Piscicello n’ayant pas vraiment de choix, car perdre son emploi signifierait la ruine de sa famille et une condamnation socio-économique irrévocable. Ne valait-il pas mieux, comme sa fille, se donner amoureusement au fascisme ? Certes son ami le pharmacien osera braver l’interdit social et politique, malgré la censure et la surveillance accrue de la police d’État, représentée par cette sorte d’espion, en osant chanter la Marseillaise, au milieu de la foule fasciste en délire, par solidarité pour sa « sœur » la France alors envahie par les nazis. Or, cet élan de courage le conduira inéluctablement à l’enfermement, voire au camp. Précaire liberté. Nous pourrions donc nous demander si le procès national intenté par la réception à Zampa et à son film, auxquels il a été reproché de montrer une Italie lâche, hypocrite et opportuniste, ne se trompait pas de cible, admettant sans le vouloir une certaine culpabilité de sa part, un remords dissimulé d’accusation. Car, au fond, y-avait-il moyen de se libérer de ce joug politique ? Les opposants pouvaient-il se soulever, sachant que les masses vénéraient leur idole ? Une solution existait-elle ? Certes, la France voisine se défendait, plus moralement que physiquement, grâce à la Résistance, cependant combien ne collaboraient-ils pas au même moment, ou tout du moins s’abstenaient de lutter, résignés ?
Quoiqu’il en soit, Zampa peint une fresque historique admirable qui explore l’esprit italien - sa malice, sa fourberie, sa duplicité, à l’image d’un leader maximum passant d’un bord à l’autre, selon la convenance des situations, ou de l’Église, peu catholique, et de l’aristocratie, opportuniste, mais aussi son bon goût, ses belles lettres, son héritage culturel que le fascisme condamne grossièrement. Il raconte cette grande tragédie de l’Histoire avec cocasserie parfois, en alternant pathos et rire. Techniquement, le noir et blanc y est remarquable et les transitions d’un soin et d’une élégance rares, le scénario bien huilé, les dialogues souvent très bien écrits. Quant aux acteurs, Umberto Spadaro campe merveilleusement bien Piscicello, à la fois apeuré face au podestat, timide devant ses camarades, autoritaire avec sa fille, emprunté quand sa femme s’énerve, ému devant son fils et les acteurs secondaires sont tous parfaitement dirigés.
Une très belle œuvre, à voir absolument.