--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au huitième épisode de la sixième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/The_Invisibles/2413896
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---


L'horreur du mois-monstre commençait réellement ce soir, tant je frissonnais d'angoisse de retrouver John Carpenter aux manettes. Le souvenir d'une déception si cuisante qu'elle en était presque physiquement douloureuse me restait encore, net et précis, d'une soirée deux ans auparavant, à la découverte de mon premier Carpenter, alors que la Cinémathèque présentait ses *Vampires*. Quel sinistre souvenir. 
Et quel brutal revirement de situation. Alors que je marchais vers le film de ce soir comme un condamné se dirigeant vers le gibet, j'ai assisté au premières minutes du film avec curiosité, à la suite avec sidération. Mais que s'est-il passé, Carpenter, entre ce brillant *Homme Invisible* de 1992, et ces puants *Vampires* de 1998 ? Je savais bien, mais je ne comprenais pas pourquoi tout le monde t'aimait, maintenant je vois. J'ai envie de courir voir tous les autres films que tu as fait. Mais que s'est-il passé ?
On l'aura donc compris, *Les Aventures de l'Homme Invisible* est un tube. Mon pref depuis le début du mois si classement il y a besoin (il y a toujours besoin de classement), même devant le charmant *Mad Monster Party ?* qui était certes une réussite de bout en bout, mais qui ne donnait qu'un rôle anecdotique à notre homme invisible (même si la blague de la tarte à la crème était, pour une blague de tarte à la crème, assez drôle). Ce soir, notre homme invisible est bel et bien le personnage principal, et Carpenter prend un soin maniaque à dépoussiérer la légende, avec une intelligence et une précision digne d'un H.G. Wells. Pourtant, la première innovation est celle de ne pas adapter le récit du célèbre romancier, et de lui préférer l'adaptation d'un roman plus récent, moins connu, avec lequel on pourra certainement se permettre plus de liberté, tout en ayant un récit plus en accord avec son époque. J'ai voulu malgré tout reprocher à Carpenter d'avoir piqué cette idée brillante à Neil Jordan, préférant adapter pour son film de vampires l'*Entretien avec un Vampire* de Anne Rice, plutôt que le surfait *Dracula* de Bram Stocker. Malheureusement pour moi, les dates me donnent tort à nouveau, puisque le film de Carpenter sortait deux ans avant celui de Jordan. Je ne peut donc que rester pantoise devant le génie de Carpenter, et un peu jalouse que ce ne soit pas mon chouchou du film de monstre qui ai eu l'idée le premier.
Évidemment, replacer le récit dans une époque contemporaine aide grandement à revisiter le mythe. Mais laissons tout de même au crédit de Carpenter la grande richesse de son récit et de sa mise en scène. Je n'ai, donc, cette fois-ci, pas lu le roman d'origine, et ne peux donc pas répartir chacune des nombreuses perles qui parcourent le film entre Carpenter ou Saint (oui c'est le nom de l'auteur, et oui c'est cocasse de devoir le citer dans un truc que j'appelle « le mois-monstre »). Mais ce qu'on peut relever par contre c'est que toutes sont très propices à la mise en image. C'est assez curieux d'ailleurs de voir que l'invisibilité sied si bien à l'art visuel qu'est le cinéma. Je me suis longtemps épanchée sur l'art du hors-champ dans mes précédentes critiques, et pourtant je n'avais pas vu venir le sujet passionnant qu'allait apporter l'homme invisible : celui-ci est le hors-champ personnifié. Où qu'il soit, quoi qu'il fasse, même en plein milieu du cadre, il est hors-champ. C'est saisissant, et quand un réalisateur aussi brillant que John Carpenter s’empare de cette richesse, cela devient passionnant. Tant et si bien que j'ai d'abord été assez déçue de découvrir que celui-ci s'accordait la paresse de faire parfois apparaître son comédien à l'écran. Mais là encore j'avais tiré des conclusions trop hâtives. Tout comme un auteur sauterait habilement d'une narration interne à une narration omnisciente, Carpenter jongle entre un point de vue objectif et le point de vu subjectif de son personnage principal, offrant par ailleurs à son spectateur la jouissance de pouvoir voir ce que personne d'autre ne voit, lui donnant le statut privilégié d'être celui -le seul- qui verra tout, sous tous les angles et par tous les regards. Et délivrant au passage des scènes démentes et drolatiquement absurdes (j'ai pour ma part un faible pour celle où l'homme invisible suit avec curiosité le livreur fouineur se croyant seul dans la maison). Pour le reste, et pour une fois, je tire mon chapeau aux effets spéciaux, habilement exécutés, et ne tombant par ailleurs pas dans le piège souvent fatal aux film de monstres, de vouloir trop se faire contempler, et de finir par révéler leurs limites. Puisque Wells l'écrivait lui-même, et que les films de Universal ont eu cette fâcheuse tendance à bien exposer qu'il ne savaient pas faire, c'est assez plaisant de découvrir qu'enfin on voit les poumons de l'homme invisible se remplir de fumée lorsqu'il fume, ou son système digestif se mettre en marche lorsqu'il s'alimente. Mais c'est encore plus plaisant de découvrir que le personnage, écœuré par cette transparence, s'appliquera par la suite à chaque fois qu'il mange à couvrir son corps déteint pour épargner ce spectacle. De même pour la scène du maquillage, lorsqu'on commence à atteindre les limites d'une modélisation 3D encore hasardeuse, le film s'empresse d'équiper son personnage d'une perruque, de lunettes de soleil et de fausse dents, permettant ainsi aux effets spéciaux s’essoufflant de se faire relayer par le HMC. Comme tout le reste, c'est confondant d'intelligence et de bon sens.
Enfin entendons nous, ce que je qualifie de « confondant d'intelligence et de bon sens », c'est la mise en scène, et la façon dont est traité le personnage de l'homme invisible, si souvent malmené et incompris par le passé. Je ne nierai pas cependant que le scénario est un peu grossier, efficace mais très commun, et que les méchants ont cette fâcheuse tendance à être très méchants, sans qu'on sache vraiment pour autant ni pourquoi ni comment. Ils ont la tête de l'emploi et leurs dialogues font froid dans le dos, mais ce qu'ils veulent exactement et pourquoi ils agissent de manière aussi méchante ne semble pas avoir été une question qui ai beaucoup tracassé l'ami Carpenter. Et j'aurai acheté volontiers cette tournure radicale -de décider que puisque le cœur de l'intrigue ne se situe pas là, ne nous fatiguons pas à alourdir celle-ci en donnant des motivations précises à l'antagoniste- si cette facilité là n'avait pas conduit le scénario dans quelques tournures un peu expéditives, voir même parfois carrément illogiques. C'est dommage quand on a un personnage principal tellement travaillé qu'il a le droit à une scène complète nous démontrant à quel point c'est compliqué de manger quand on ne voit pas ses mains, de découvrir qu'a coté le méchant agit de manière complètement désordonné et stupide, tuant sans sommation un personnage secondaire dont l'intrigue n'aura plus besoin, et gardant recluse sans aucune raison et pour une durée absurdement longue l'amoureuse du héro. C'est un détail, peut-être le seul qui me retient de donner à ce film une dernière étoile et le juger sans faute. Arrivé à ce stade de la critique (la plus longue depuis le début du mois, mais j'avais oublié à quel point les bons films me rendaient follement enthousiaste), je brûle d'envie de dérouler une série d'exemples de situation et de citation, brillantes par leur drôlerie ou leur pertinence. Cependant et puisqu'une telle liste ne serait utile ni à ceux qui ont vu le film, ni à ceux qui ne l'ont pas vu, je me cantonnerais à une seule, qui me hante, me tourmente et me tracasse depuis. Alors que les vilains cherchent à retrouver la trace de l'homme invisible qui leur a filé entre les doigts, le super méchant a cette phrase (je l'ai regardé en anglais, donc la traduction est faite maison, pardon pour ça) : « cet homme était invisible avant même de devenir invisible ! »...


Cette phrase, qui n'est sûrement pas la plus profonde des déclaration philosophiques, nous sommes d'accord, me laisse pourtant songeuse. Pour rechercher les films que j'allais pouvoir regarder ce mois, je me suis vue entrer le mot « invisible » dans le moteur de recherche de Sens Critique. Il se trouve que les heureux élus étaient en fait noyés sous une masse beaucoup plus vaste de film entendant le mot « invisible » d'une façon beaucoup moins pragmatique que le faisait H. G. Wells. La question de l'invisibilité traverse le cinéma, parlant non pas d'Hommes dont le corps devient transparent suite à l'absorption d'une douteuse formule scientifique, ou à l'exposition mystérieuse à des ondes radioactives, mais plutôt de personnages dont l'existence semble si insignifiante au yeux des groupes qu'ils ont le sentiment d'être invisibles. Finalement dans le film de Carpenter, c'est en devenant matériellement invisible que le héro cesse de l'être socialement. Il devient soudainement quelqu'un de radicalement différent des autres humains, cessant de disparaître dans la foule, apparaissant plus brutalement aux yeux de tous qu'il n’apparaît plus tout court. Et finalement, ce soir le remède ne se trouvait pas dans une miraculeuse transplantation sanguine faisant réapparaître la peau du héro, mais dans la quête d'un moyen de redevenir invisible, oublié, commun, anonyme.
Si cette phrase m'obsède autant finalement, c'est certainement parce qu'elle me dit que je fais fausse route depuis le début. Je ne recherche pas l'homme invisible pour devenir matériellement comme lui. Ce serait rigolo pour un temps certainement, mais ce n'est pas ça dans le fond qui m'intéresse. C'est l'autre invisibilité que je recherche, celle qui engloutie dans la multitude et efface la célébrité. Et l'homme invisible n'est pas la personne qui pourra me donner ça, au contraire, il est peut-être le personnage le moins apte de tous à me délivrer. Surtout, si celui-ci existe bel et bien, et qu'il vit parmi nous, c'est qu'il a réussi comme le personnage de ce soir à retrouver son anonymat. Si j'en crois le film que je viens de voir, cela n'a pas du être facile, et reste un travail quotidien et laborieux. Il n'a certainement pas envie que je vienne déterrer les cadavres dans son jardin. Et moi qui ai fait vœu de ne plus jamais faire souffrir personne, ce n'est sûrement pas ainsi que je vais l'aider. Mais alors... Qu'est-ce que je cherche, et comment le trouver ?

Zalya
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le 4 nov. 2021

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Zalya

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