Les Aventures du prince Ahmed
7.6
Les Aventures du prince Ahmed

Long-métrage d'animation de Lotte Reiniger (1926)

Après El Apostrol et Sin Dejar Rastros (tout deux réalisés par l'Argentin Quirino Cristiani en 1917 et 1918), Les Aventures du Prince Ahmed est actuellement considéré comme étant le troisième long-métrage d'animation. Si ses deux prédécesseurs ne sont jamais parvenus jusqu'à nous (le premier, à cause d'un incendie dévastateur et le second, pour raisons politiques), Les Aventures du Prince Ahmed échappe miraculeusement à ce destin funeste et devient donc le premier long-métrage d'animation disponible (même sur Youtube, si vous voulez y jeter un coup d’œil).


Le film connaît donc une première vie, représenté pour la première fois en 1926 dans le théâtre Volksbühne de Berlin. Le succès est immédiat. Un Français qui se trouvait là permet un déploiement du film en Europe. D'autres représentations suivent alors, notamment à la Comédie des Champs-Elysées de Louis Jouvet.


Il faut attendre 1999 pour que le film soit retrouvé, malgré les désastres causés par la Seconde Guerre. Une restauration est menée, les fonds d'écran sont recolorés, la musique originelle de Wolfgang Zeller est sonorisée, une voix off (en français, celle d'Hanna Schygulla) est ajoutée. Cela permet au film de connaître une nouvelle vie en faisant une seconde sortie, en France, le 5 décembre 2007.


L'histoire s'inspire librement du Cheval volant et d'Aladin et la Lampe Merveilleuse, deux contes des Mille et une Nuits, ce célèbre recueil arabe qui constitue une grande source d'inspiration pour de nombreux réalisateurs. On peut noter aussi l'inspiration du cinéma expressionniste, par les jeux d'ombres et de lumière en contre-jour, et celle du cinéma avant-garde allemand, notamment dans l'usage de figures géométriques abstraites lors de la présentation des personnages.


Les Aventures du Prince Ahmed est à mes yeux une pépite. Nous sommes en Allemagne, en 1923. Une jeune femme, Lotte Reiniger, alors âgée de 25 ans, se donne le défi de réaliser ce chef d'oeuvre. C'est un travail de longue haleine, le film est entièrement conçu de silhouettes de papier découpées avec une finesse absolue et constituées chacune de 25 à 50 pièces afin d'assurer le raffinement du moindre détail. Il comporte environ 300 000 images, soit 24 images par seconde et 65 minutes de film. Il fallut trois ans à Lotte Reiniger pour parvenir à cet exploit de précision et de souplesse dans les mouvements.


Aux côtés de la réalisatrice allemande, seules quatre personnes sont nécessaires : Carl Koch (son compagnon, lui-même réalisateur) à la prise de vue, Berthold Bartosch aux effets spéciaux, Walter Ruttman qui manipule séparément les arrière-fonds et Wolfgang Zeller pour la bande sonore.


Pour obtenir ces teintes colorées, ils utilisent une technique cinématographique élémentaire régulièrement utilisée dans les films en noir et blanc de l'époque, teintant les positifs en les trempant dans un bain de couleur afin de dépeindre une nouvelle ambiance avec chaque couleur.
La technique d'animation de silhouettes s'inspire quant à elle de la tradition du théâtre d'ombre oriental. Au moyen d'une simple table lumineuse (une table vitrée et recouverte d'un papier transparent) et de ces figurines de papier, tout est à encore à imaginer et construire.


Et c'est là que la magie naît véritablement. Car non seulement, Les Aventures du Prince Ahmed est une pépite visuelle pour la précision et la finesse des personnages, le détail des cheveux, des vêtements, des parures, des feuilles d'arbre, des plumes... Mais en plus, cette oeuvre déborde de créativité. Les moyens sont rudimentaires, parfois constitués essentiellement de sable ou de cire, et pourtant, les simples spectateurs que nous sommes sont capables de comprendre tous les éléments nouveaux. Je noterai principalement la technique employée pour les décors, à l'avant-plan comme à l'arrière-plan, les nuages et la brume, les vagues, la boule de cristal, ainsi que toutes les métamorphoses du calife, d'une fluidité déconcertante.


La musique qui accompagne le tout permet d'accentuer chaque instant, de nous emporter jusqu'au pays des Mille et une Nuits. De même, le montage des différentes séquences, notamment dans les moments de suspense, parvient à retranscrire les émotions des personnages, ces derniers n'ayant pas besoin de parler pour être expressifs.


Le scénario est bien fourni, parfois même un peu trop, on a tendance à se perdre un peu parmi toutes ces informations, mais cela n'enlève rien à la qualité de l'oeuvre, l'aspect visuel étant presque suffisant pour nous faire passer un moment agréable.


Ce film demeurera le grand chef d'oeuvre de Reiniger, ses autres films n'ayant pas obtenu le même succès. Poussée à quitter l'Allemagne pendant la guerre, son art étant considéré comme « dégénéré », Reiniger alla s'établir à Londres avec Koch. Cela leur laissa le temps de fonder une société cinématographique, la Fantasia Productions idt. Elle choisit de poursuivre sa voie en réalisant des courts-métrages enchanteurs sur des airs de Mozart, après avoir entrepris d'autres tentative de films qui n'obtinrent pas le même succès que Les Aventures du Prince Ahmed, le cinéma étant en pleine transition avec l'arrivée du cinéma parlé.


Notons que c'est aussi l'époque où Walt Disney entra en jeu avec ses véritables premiers longs-métrages, Blanche-Neige et les Sept Nains en 1937 et Pinocchio et Fantasia, tous deux en 1940. Difficile pour Reiniger de rivaliser avec le succès de Walt, du cinéma parlé et des couleurs ! Mais cela ne l'empêcha pas de vouer sa vie à explorer les possibilités du cinéma d'animation et de nous laisser un magnifique héritage cinématographique.


Vous l'aurez compris, je suis tombée sous le charme de ce film, qui mériterait davantage de notes sur SC... J'en suis presque à me dire que le cinéma d'animation a régressé, et que Michel Ocelot, le seul réalisateur que je connaisse à avoir suivi la voie de l'animation de silhouettes, avec ses Contes de la Nuit (film très similaire à celui-ci, vous verrez par vous-mêmes), est encore loin d'arriver à la cheville des Aventures du Prince Ahmed.

Lilymilou

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