Le problème de la rigueur, tu l'admettras bien volontiers avec moi, c'est son côté un peu rigoriste.


Il s'est sans doute montré un peu trop droit, l'ami Wim, sur le coup. Alors qu'on pouvait précisément louer l'exactitude dont il a fait preuve pour adapter Peter Handke, on en vient à regretter un peu amèrement le choix de cet auteur déplorable. C'est implacable, le résultat ne pouvait être que mathématiquement affligeant.


Parce qu'en l’occurrence, vois-tu, Peter Handke ressemble à ces poètes laborieux dont on perçoit toutes les velléités au début de chaque strophe. On a l'impression de compter sur nos doigts avec lui les pieds de chaque pathétique tirade, et -pire- trouver avant lui la mauvaise rime qui va venir systématiquement clore chaque assertion pataude.
(Il parait que l'auteur avait fait bien mieux par la passé. Il a dû ici traverser une sacré crise d'inspiration. Et de discernement. Quand on commet un tel truc, au mieux, on le laisse moisir au fond d'un tiroir)
Pour te donner une idée du naufrage, Handke qui écrit une pièce, c'est équivalent BHL qui tourne un film. C'est Aurea qui trouve un titre de liste sur les films qui ont éveillés en elle un émoi érotique. C'est Bouna Sarr qui entre à 70ème pour jouer milieu offensif ou… tiens, c'est Nadine Morano qui écrit un discours humaniste aux relents gaulliens.
Bref. Par quelque bout que tu l'attrapes, c'est bouleversant.


Au fond je dis ça, mais c'est même pas de la poésie. Pas de la philosophie non plus, note bien. Une espèce de brouet informe dont le seul goût discernable qui en émane est celui d'un vague dégout ennuyeux. Ou un ennui dégoûtant.
Après un quart d'heure de film, le sentiment de te retrouver seul (on se sent toujours terriblement seul devant ce genre d'épreuve) devant une quiche à la terre, mal cuite (forcément) dont il reste 90% à avaler, sous les commentaires enjoués et auto-satisfaits du cuistot qui te demande à chaque fourchette étouffante si t'apprécies son génie culinaire à sa juste valeur.


Wenders, ce vieux pote âgé abandonné au fond du jardin


Et le texte, je l'ai le subi d'autant plus que, dès les premières secondes, j'ai été saisi par un sentiment de profonde empathie et de tristesse pour les deux interprètes du film. Impossible de déclamer de telles âneries boursoufflées sans être ridicules. Les pauvres ne sont pas des extraterrestres.
A l'impossible, nul n'est assez ténu.
Du coup, j'ai essayé d'oublier l'emballage pour me concentrer sur le bonbon. J'aurais pas dû, sur le papier, la saveur devait être indiquée: un truc du genre "pus de cafard sur son lit de plomb rouillé" ou "raclure d'ongle de pied macéré à la chaussette".


Cela dit, la ténacité à quand même un peu de bon. Après une heure d'épreuve, la douche miraculeuse et divine d'un Nick Cave interprétant au piano "into my arms" vient laver l'affront de cet océan de boue craquelée et étouffante, même si aussitôt, le dépit de voir une si auguste bouée faisant surface au cœur d'un tel naufrage laisse un petit goût salé dans le bouche.
L'amitié peut être mère de toutes les humiliations.
Mais l'accalmie est très furtive. Après la trouée lumineuse, la dernière demi-heure est venu m'achever sans la moindre pitié. Plus rien n'y a fait, ni les écharpes en été de Reda ni les larmes à propos de groseilles de Sophie ne pouvaient empêcher la survenue du coma inexorable qui me guettait.


Cerise gâtée sur le gâteau en plâtre, la réalisation hyper répétitive et apathique de l'ami Wim vient tout au long de l'épreuve te bercer avec la grâce d'un Nuctalon surdosé. Wim, je suis tout à fait pour le principe de l'accompagnement en fin de vie, mais il me semble que cela doit rester une affaire personnelle et intime. Ce n'est pas loyal de vouloir embarquer les autres avec soi.

guyness

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