Catch juridique pour portrait mordant de la Justice

Bienvenue, bienvenue, chers amis, auditeurs, spectateurs, lecteurs et autres, pour assister à cet incroyable, magnifique, mirifique, fantastique - il faut bien le dire - match de catch juridique de l'an de grâce 1963 !
Mais grâce de discours, passons aux présentations !


À ma droite, André Bourvil, dit Dédé, dit Bourvil, dit le juge d'instruction.
1m72, cheveux dégarni, yeux bleus, fervent lecteur de Stendhal,
la Morale incarnée, extracteur de bonté et d'idéal, puisatier de vérités nues.
Catégorie plume de poids (n'appuyez d'ailleurs pas trop sur sa plume).
Handicaps: Espérance dans l'Humain, dans la Justice / Lacets défaits.
À son côté, Virna Lisi, sa *Hussard*e, son Arbre de Noël, dite l'infirmière.
1m65, cascade brune, yeux bleus, maîtresse de la victime,
la Vertu éplorée, expérimentatrice en suicide, parfait exemple du chat noir.
Catégorie poids plume et pois sous plume.
Handicaps: Sensibilité à fleur de peau / Peau de chagrin.


À ma gauche, Pierre Brasseur, dit Pangloss, dit Méphistophélès, dit le plaideur des causes inavouables.
1m75, cheveux et barbe noirs, yeux noirs, blanc de peau uniquement, fervent lecteur de Machiavel,
La Malice incarnée, alchimiste de traités de lois et d'arrêts de jurisprudence, brasseur de père en fils de fake news et de vérités arrangées.
Catégorie: Poids lourd du barreau, ténor même (et énorme, c'est beaucoup !).
Handicaps: Orgueil. Sans ça aucun, car même cet handicap est une de ses forces.
À son flanc, Marina Vlady dite Mire Poutine, dite OSS117 Girl, dite Princesse de Clèves, dite la tueuse.
1m75 (donc à sa hauteur), coiffure blonde sophistiquée, yeux bleus, épouse de la victime.
La Manipulation faite femme, la vamp impénitente, l'araignée dans sa toile, parfait exemple de cerveau criminel.
Catégorie: Poids léger, harmonieux: celui des autres, sur qui elle se repose.


L'horloge abstraite a sonné sur fond de musique angoissante: le match est lancé !


Et le premier round commence, ambiance Colombo-Faux Coupble hitchcockien, opposant Miss Lisi et Miss Vlady, tandis que B&B s'échauffent, sous l'arbitrage indécis d'Hubert Deschamps dit le Docteur, dit Ô Scotland poor Scotland, 1m64, catégorie second rôle toujours plaisant à voir.
Miss Lisi joue des larmes avec un Bourvil sceptique, Miss Vlady joue des armes avec un Brasseur très épris.


Et arrive le deuxième round, où Bourvil et Brasseur entrent vraiment dans l'arène, échangeant des coups de théâtre et des coups bas, se jaugeant comme le lion et le serpent.
Le spectacle qui semblait manichéen prend un tour plus complexe, brisant les stéréotypes: la brune fatale et sournoise se confirme la demoiselle en détresse un peu simple et la blonde bonne et naïve s'avère une marionnettiste géniale. Tandis que Brasseur met tous les pions de Bourvil K.O, Bourvil qui, l'air de rien, a un coup d'avance sur lui, n'est pas aveuglé, décoche une flèche de Parthes à Marina Vlady qui se cache sous un provocant sourire et même sous une accusation, bave de crapaud.


Enfin le troisième et dernier round.
Le Bon jette l'éponge: il a compris que la Justice des palais n'était que théâtre, parodie. Il a compris que le monde juridique n'est pas le lieu où l'on s'efforce à mettre au jour la Vérité mais un cloaque où l'on s'amuse à mettre en scène des vérités. Il a compris que coupable ou innocent, on est du bon côté de la décision du juge et du jury - drôle de fusil - quand le Malin est notre défenseur. Il en fait un discours poignant et, tel l'Inspecteur Harry, quitte sa vocation, irrémédiablement et surtout diablement déçu.
Le Mauvais donne de la voix, n'est plus qu'une voix, celle de la Justice, corrompue, corruptible et prompt à corrompre.
Victoire de Brasseur par génie autant que par forfait mais défaite de la Justice qui a perdu toute crédibilité. Le film se révèle un réquisitoire contre le droit et contre la justice qui en découle. N'y triomphent que des vicieux masqués de vertu puisque tout est mascarade. Un tableau sombre et sans concession, teinté d'humour cynique et sifflant, aux airs de La Bruyère. N'est-ce d'ailleurs pas à cet auteur que l'on songe lorsque, comme par prolepse, Brasseur fait le portrait de Bourvil: "Il se méfie de lui-même, il se méfie des autres, il est honnête " ?


Attendez, attendez ! Ce n'est pas fini !


Comme à la fin d'un Faust qui déclare: "Il est jugé !", le véritable et terrible verdict tombe: Brasseur a été la dupe de Vlady. Le Mal a triomphé du Mal. Brasseur est puni.
Il décide de se venger en aidant le jeune commis d'office a gagner son pourvoi en cassation, il choisit de détruire Vlady par personne interposée: la belle qui a tué son mari par infirmière interposée est punie par là où elle avait péché.
Brasseur a retenu la leçon de Bourvil: Malin, il est seul à pouvoir faire gagner une cause, bonne ou mauvaise. Il devient le Mal nécessaire pour faire triompher le Bien pour une mauvaise raison. Il se rachète, sauve la pauvre victime, punit la coupable.
Victoire par K.O de Bourvil qui ne le saura même pas !


Fin ouverte, annonçant un nouveau match de catch juridique où les cartes sont rebattues.

Frenhofer
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le 21 avr. 2020

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