Michel Audiard a signé quelques unes des plus belles comédies françaises de l'histoire (Les tontons flingueurs, Les grandes familles, un singe en hiver...), et il a aussi couru le chèque en bâclant sans honte de nombreux projets infâmes (Comment réussir quand on est con et pleurnichard, l'animal...).
Au regard l'extrême confidentialité de ces "bons vivants" (aka "un grand seigneur", jamais bon signe les films avec deux titres alternatifs), on pouvait craindre que ce projet ne soit frappé du sceau de l'infamie. Mais tant l'étourdissante distribution (Blier, de Funes, Darc, Carmet etc...) que l'absolue pauvreté des comédies françaises contemporaines (cf l'oeuvre critique du méritant Pierrick qui consigne quotidiennement, non sans un certain héroïsme, l'avalanche de bouses signées par Olivier Baroux et autre PEF. Un solide travail de salubrité auquel il convenait de rendre un juste hommage) invite à la curiosité.
Et c'est une heureuse surprise. Avec un thème cher à ces vieux messieurs, il aurait été dommage de livrer un film petit bras. Et c'est peut-être bien ce synopsis radioactif (la prostitution heureuse) qui explique le fait que le film de Grangier, ait connu de très peu les honneurs de la diffusion à la téloche. Mis au placard depuis 65, c'est une performance dont peu de films - et surtout des comédies - peuvent se targuer.
Composé de 3 segments, tous reliés les uns aux autres par la lanterne du bordel, la trame est cohérente à défaut d'être exceptionnelle. Outre ce casting de rêve qui n'a rien à envier Au jour le plus long (Blier en tenancier de bordel, qui peut le challenger ?), c'est bien les dialogues qui font mouche. Simonin et Audiard sont en jambes, et leur verve transforme Les bons vivants en véritable erreur judiciaire de son temps.
Si les Tontons flingueurs recueille des honneurs mérités depuis des décennies, Les bons vivants méritaient autre chose que de pourrir dans l'ombre. La loi "inique & scélérate" de Marthe Richard (selon le point de vue de Mr Charles, Bertrand Blier particulièrement impérial), désespère le couple de tenanciers. Gravos (l'excellente Dominique Davray déjà dans le même rôle dans "les Tontons"), et Mr Charles accablés par le spleen se voient dans l'obligation d'ouvrir leur volet, enfin de fermer leurs portes.
Et le truc le plus subversif, c'est que ce sont les pensionnaires qui se montrent les plus inconsolables par l'annonce. Audiard se risque sur ce paradoxe difficilement admissible : des prostituées ont pleuré la fermeture des maisons, alors que cette mesure a été prise pour leur bien. Car elles ont été obligées par la suite de se mettre à leur compte, de connaître le danger de la rue, et pour d'autres celui plus grand du travail honnête en usine, ou dans l'hygiène... Fait historique paradoxal confirmé par Dino Risi qui a vécu la fermeture d'un bordel et qui rapporte également cette tristesse impensable.
Audiard, en bon sale gosse, dépeint ces esclaves sexuelles en petites choses choyées, dont l'alimentation et la santé sont surveillées scrupuleusement par un spécialiste de la médecine galante, lui-même déprimé à l'idée de soigner de simples crèves dans un futur proche. Plus qu'un écosystème qui s'écroule, c'est un monde riant qu'on assassine... Fallait le faire. Dans le premier sketch ça se lamente beaucoup, au point que Mr Froment (Frank Villard), taulier d'un bouic à Toulon se hasarde à vouloir en référer aux Droits de l'Homme. Difficile de ne pas rigoler devant l'échange avec Blier, qui abuse de son tic avec la bouche pour notre plus grande satisfaction.
Le second sketch - le plus faible des 3 - est une longue scène de procès, où le talent comique de Darry Cowl est bien trop sous employé (faut dire que Guitry en avait tiré le max dans "assassins et voleurs"). Carmet et J.Lebfèvre, volent la lanterne de l'ancien bordel au cours d'un casse chez une comtesse, qui n'est autre qu'ancienne pensionnaire. Elle va tout faire pour la récupérer. Le juge (Pierre Bertin) cabotine comme on a rarement vu dans toute l'histoire du cinéma, et ce segment est très mineur, tout juste sauvé par la couverture minable de Mr Franck qui propose à des jeunes filles un honnête service de tricot à domicile...
Il faut attendre le dernier sketch avec un De Funes "world class" pour retrouver du panache. Haudepin (De Funès) est trésorier d'un club de judo, il se fait embobiner par deux putains (et quelles putains ! Mireille Darc et Bernadette Laffont plus lubrique que jamais), qui vont finir par transformer sa baraque en bordel sans qu'il s'en aperçoive. Ses collègues judokas (Jean Richard, Hubert Deschamp et Philippe Castelli ?!!) étant très sensibles aux charmes des nouvelles soubrettes. Bon c'est de la grosse comédie, dialogué à l'ancienne mais ça fait plaisir de découvrir un nouveau De Funès.
Les bons vivants ne s'adresse qu'à ceux qui ont usé les comédies populaires de l'époque jusqu'à la corde. Un petit plaisir nostalgique et très politiquement incorrect, qui vaudra toujours mieux que Le doudou ou Les dents pipi et au lit.