Il est difficile de parler d'adaptations d'œuvres que l'on aime. On leur voue un tel culte qu'on a du mal à porter un regard critique sur les adaptations qui en sont faites.
Les Brigades du Tigre est une de ces œuvres. Elle dégage un charme, une fragrance unique en son genre. Si c'est ça la police, je m'engage sans attendre.
Bon, on ne parle pas de la série, donc je vais m'arrêter là en ce qui la concerne.
L'adaptation a été décriée pour pas mal de raisons, certaines justes, d'autres beaucoup moins. Commençons par celles-ci.
Pas mal de personnes, visiblement, ont critiqué le scénario. Personnellement, j'ai trouvé l'idée de départ assez bien trouvé : nos brigadiers ont souvent été mêlés à des anciens membres de la bande à Bonnot ; leur faire combattre Bonnot en personne était très bien vu. A ce titre, le film compte un superbe morceau de bravoure (le seul, hélas), avec l'assaut final contre Bonnot à Choisy-le-Roi.
Mais plus encore, il faut saluer l'idée d'avoir ajouté à cet assaut une intrigue sur les emprunts russes et une guerre des polices entre la préfecture et nos brigades (là encore excellente idée, la série ne montrant pratiquement pas de tension entre les différents services de police).
Ces scénarios, loin d'être juxtaposés, sont en étroite dépendance mutuelle. Ainsi, l'important déploiement de force engagé pour régler le compte de Jules Bonnot (qui reste un point sur lequel on peut s'étonner) est expliqué par la volonté de certains de le faire taire à tous prix, avant qu'il ne dévoile au grand nombre un certain nombre de combines ; et les moyens énormes déployés dans ce but mettront la puce à l'oreille au commissaire Valentin…
Puisqu'on parle de lui, abordons les personnages. Si Terrasson est assez proche de sa version télévisuelle (à ceci près qu'il est ici marié, père de famille et relativement âgé), Pujol et Valentin sont très différents des leurs. Pujol passe ainsi d'un titi parisien à un flic élégant mais brutal, épris d'une prostituée qui est à la fois son amante et son indicatrice (probablement l'un des meilleurs personnages du film). Quant à Valentin, son personnage a été complètement réécrit. Clovis Cornillac incarne ici un commissaire agressif, au langage grossier et aux méthodes extrêmes. Il garde cependant une part du cynisme qu'avait déjà (mais plus subtilement) le personnage du feuilleton.
Tout cela pourrait agacer le fan. Qu'il se rappelle cependant qu'une adaptation peut se permettre des libertés et n'est pas tenue de singer en tous points son modèle.
Le même argument vaut pour la violence du film. Certains ont pointé du doigt le contraste entre cette violence et le côté "bon enfant" de la série. Mais ce dernier côté a été quelque peu exagéré, la série comptant aussi son lot de coups sanglants, d'affaires glauques et de meurtres sordides.
Cela fait-il des "Brigades du Tigre" un bon film ? Pas vraiment. Reprenons nos trois points précédents pour examiner ceci de plus près.
Plus haut, je disais que l'intrigue de départ était excellente. Et je le maintiens : au départ, tout part très bien. C'est la suite qui déçoit. Le récit, à force de mêler différents sous-scénariii (guerre des polices, anarchistes, emprunts russes, Triple-Entente…) finit par confondre la complexité et le fouillis, de sorte qu'on ne sait même plus qui suivre et qui sont les vraies cibles de nos brigadiers (si la première partie est encore regardable, la seconde sombre dans un désordre fatigant et illisible). A tel point qu'on se demande si le film ne nous demande pas de sympathiser avec les anarchistes (notamment Constance Bolkonski, on y reviendra) ; or, outre la répugnance du spectateur d'éprouver de la sympathie pour de violents terroristes (grossièrement appuyée par un portrait caricatural des puissants), on se demande alors pourquoi diantre nos policiers se démènent-ils pour les arrêter ?
Ceux-ci, tant ils sont différents de leurs incarnations télévisuelles, finissent par manquer de chaleur. L'une des grandes forces de la série était la grande complicité entre le trio principal (complicité réelle, aussi bien devant que derrière la caméra). Ici, la volonté du réalisateur d'en faire des "durs de durs" (voire de vrais salauds vues leurs méthodes) nous empêche de nous sentir en confiance avec eux. Un personnage faillible et pécheur nous est sympathique, un personnage violent et sans nuance nous l'est beaucoup moins.
Quant aux autres personnages… outre que l'on ne profitera que très peu de Faivre (Gérard Jugnot, impeccable en policier-en-chef et qui, pour une fois, ne crie pas), Constance Bolkonski (délicieuse Diane Kruger) est un ratage quasi-complet : déjà, on a du mal à envisager une princesse russe entretenir une liaison avec un anarchiste français ; mais par ailleurs, son personnage erre dans l'intrigue sans réelle consistance.
En témoignent ses sentiments soudains pour Valentin à la fin du film, sortis de nulle part, et rendus étranges par son émotion manifeste à la découverte du testament de Bonnot.
Il faut cependant noter que Diane Kruger, à défaut d'être toujours crédible, irradie chaque plan de son charme germanique, ce qui permet à son personnage certaines scènes très réussies.
Notamment celle où elle se voile à la mort de Bonnot, symbolisant son "veuvage" et celle où elle fond en larmes en pensant à l'homme qu'elle aimait.
A part cela, nous avons quelques personnages réels (Louis Lépine et Jean Jaurès au premier rang) et un jeune inspecteur de police, Achille Bianchi (Stefano Accorsi), qui permet au néophyte de découvrir ces "Brigades" sans trop de difficultés. Les antagonistes (le prince Bolkonski au premier chef) sont en revanche décevants, réduits à de simples caricatures. Je tiens cependant à souligner la performance inquiétante de Thierry Frémont en anarchiste russe drogué et sadique, donnant un méchant très réussi, nous permettant de ne pas idéaliser l'anarchisme des années 1910 et qui n'aurait pas déparé le feuilleton original.
Quant à la violence du film, elle est assez problématique. Que l'on veuille faire un film violent est une chose ; mais cela s'accordait difficilement avec certains éléments plus légers issus de la série (notamment la fameuse complainte des apaches, qui sert de thème musical au film). Quitte à prendre une autre direction, autant aller jusqu'au bout.
Bref, un film fondamentalement bancal et maladroit, qui ne sait pas trop sur quel pied danser, mais dont les fulgurances réelles m'interdisent d'en parler comme d'un ratage complet.
A voir une fois, pour s'en faire une idée. Puis, se jeter sur la série, un vrai régal sans fausses notes.