(j'avais oublié de publier ma critique ici)
Il existe un charme aussi subtil que la saudade à la langue portugaise. Ces dernières années, des films portugais comme le chef d’œuvre Tabou se sont illustrés sur la scène cinématographique, rappelant la beauté de cette langue. Bien que radicalement différent de Ciudad de deus, Les bruits de Recife (O Som ao Redor) peint aussi une certaine réalité de la vie brésilienne.
De l’enquête sociale …
Le premier pan du film, le plus évident, celui qui est annoncé par les photos d’archives en ouverture, est celui d’une enquête sociale. Kleber Mendonça Filho dresse un portrait de cette société brésilienne loin des favelas, peu médiatique mais qui constitue une réalité souvent occultée. Il s’agit d’une classe moyenne, de quartiers hétérogènes où se côtoient maisons et immeubles, où la rue et ses carrefours dessinent à la fois une vie de calme et de chaos : les silences, l’attente, les vols, le bruit.
Pour ce portrait, l’auteur agit avec rigueur et maitrise. Au niveau de la forme d’abord, avec une réalisation ciselée ; orchestration des sons magistrales, jeux de cadre, jeux de caméras : tout fait sens, tout fait mouche. D’une obsession pour les lignes que n’aurait pas renié Antonioni, à une capacité à filmer les bâtiments – de l’extérieur et de l’intérieur – en passant par le choix du scope, Kleber Mendonça Filho affirme un langage cinématographique qui étonne pour un premier film. Sur le fond, le réalisateur peint avec rigueur la vie quotidienne de ce quartier parmi d’autres, et donne à voir avec justesse les hiérarchies sociales post-esclavage, les mœurs et enjeux de cette classe moyenne, les rôles et caractéristiques des employés, les dispositifs et dispositions du foyer.
Néanmoins, aussi intéressant et efficace qu’est cet aspect du film, il y est présenté en support de plusieurs arcs narratifs qui manquent un peu d’intensité. Certes, ce n’est pas là le principal intérêt des Bruits de Recife – nous y reviendrons – mais puisque ces histoires et ses personnages existent, il aurait été souhaitable de les voir plus denses. Peut-être la volonté de les multiplier et de présenter diverses facettes de la société éparpille un peu la narration. A cet égard, la trajectoire du chef de la sécurité dont l’issue est révélée à la fin est symptomatique de ce processus : il s’agit du seul vrai écartement avec le film dans son esprit général, mais sa présence en fin connote le film et lui nuit quelque peu.
… au cauchemar social
Néanmoins, cette chronique de quartier est infestée, corrompue par un mal tapis, sourd ; la vie brésilienne est angoissée, paranoïaque. Kleber Mendonça Filho cite Carpenter en influence, et il y a de ça en effet : un fantastique moite, une atmosphère inquiète. Les bruits de Recife est loin de toute grandiloquence, notamment formelle ; la maitrise de la réalisation se fait avec une modération bienvenue et cette impression de calme contribue à renforcer l’angoisse procurée par quelques scènes de génie. De plus, l’économie factuelle (on ne voit pas le vol d’autoradio, un suicide est rapporté, un meurtre raconté) à l’écran a la faculté de décupler la force des rares actes de violence dont le spectateur est témoin : une dispute entre voisines, un chien qui aboie qu’on veut faire taire, un coup de poing à un enfant.
Cependant, il ne faut pas se leurrer. La plus grande violence dans cette société décrite est dans l’atmosphère, chargée d’un cauchemar social qu’on craint voir s’abattre soudainement. Ce fantôme de terreur flotte au-dessus du film tout du long. La subtilité de cette tension, de ce cauchemar, lui confère une possible immédiateté effrayante. Avec O Som ao Redor, Kleber Mendonça Filho livre une œuvre avec ses défauts, ses limites, ses qualités, qui en font assurément un excellent film et sans doute le meilleur de 2014. Mais, il y a autre chose. Par ses choix, surtout dans cette dimension de cauchemar social, le réalisateur et son long-métrage dépasse la simple fiction, dépasse le simple éclairage sociétal, et donne à voir toutes entières les angoisses d’une société. D’une cascade de sang au Sacì Pererê en passant évidemment par cette paranoïa de l’intrusion, de l’invasion, dont le paroxysme est incarné par l’arastao dans une scène de cauchemar magistrale qui fera date.