Monicelli réussit brillamment son tour de force : parler de grève sans faire de politique, expliquer le besoin de la lutte sans être démagogue, évoquer un destin collectif tout en embrassant ses individualités et particularités et enfin être sérieux et grave tout en faisant rire.
En effet, à l’image de l’excellent Le Pigeon, Monicelli échappe à la peinture dramatique de la misère propre au néo-réalisme, sans non plus la réfuter : il la regarde et nous la montre, mais avec pudeur, à l’image de cette scène où le professeur, affamé, s’attaque à un sandwich oublié avant que son propriétaire ne revienne et le découvre la bouche ouverte : un long silence dit tout, la gêne pour l’un, la honte pour l’autre, pendant que le spectateur sourit de ce comique de situation – tel est le style de Monicelli.
Ce professeur, incarné par le très bon Mastroianni, partage la pauvreté du peuple, avec ses vêtements élimés (ses gants troués qu’il ne quittent jamais sont une excellente trouvaille) et son inaltérable faim. Or, grâce à son savoir de lettrés, ses valeurs d’équité et à sa lutte obstinée pour la justice sociale, il refuse la subordination passive et la résignation pour choisir le camp de la révolte, devenant guide d’un peuple las de subir et séduit par son art oratoire et ses louables intentions. Il faut dire que ce peuple est bien à plaindre : Monicelli, dans des travellings sillonnant l’usine à textile et des fondus sur l’horloge rend bien compte de l’inhumanité de la tâche confiée à ces ouvriers - la scène de l’accident du travail avec la main amputée ou encore celle de l’enfant que le père ne voit jamais et que la mère amène derrière les grilles de l’usine comme si l’ouvrier était en prison viennent l’étayer. La révolte est donc inéluctable, et les contrastes entre les excès et le luxe des uns et le manque et l’indigence chez les autres ne font que renforcer sa nécessité.
Dans Les camarades, tout est parfaitement huilé, le scénario carbure comme une machine inarrêtable. Le discours est clair et univoque, mais il accepte les points de vue opposés, les nuances et les contradictions des personnages. Le film se veut optimiste malgré l’échec et la perpétuation des injustices, personnifiées par ce petit frère qui suit les pas de son frère « mort au combat » - pour rien ? Non, car dans le lit de ce sang versé coulera plus tard une rivière.