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Je vais être honnête immédiatement, je n’avais pas prévu d’écrire sur Les Chambres rouges, moi qui ai l’habitude d’avant tout essayer de mettre en lumière des films qui vont sortir, je n’avais pas prévu de placer cette œuvre dans mon planning. Sauf que voilà, des œuvres aussi marquantes, aussi viscérales, aussi puissantes et tout simplement passionnantes, c’est assez rare pour en parler, et plus qu’un simple commentaire, j’ai souhaité creuser au maximum mon ressenti à chaud (pour changer). Pour ceux qui n’auraient pas lu le synopsis (et sachant que tout du long je vais faire en sorte d’en dire le moins possible), Les Chambres rouges met en scène le procès très médiatisé du présumé coupable de trois meurtres sordides, qui en plus de leur extrême violence et profil de victime similaire, coïncident par la mise en ligne de vidéos snuff ; des enregistrements vidéos des crimes. Au-delà du déroulé du procès, Pascal Plante ne place pas son point de vue sur le corps judiciaire, mais sur Kelly-Anne. Si on ne sait au départ pas grand-chose de cette femme mystérieuse, on comprend très vite que son rythme de vie singulier est dirigé par un homme, Ludovic Chevalier, le présumé tueur jugé au palais de justice de Montréal. Un intérêt qu’on comprend rapidement être plus de l’ordre de l’obsession, poussant Kelly-Anne à entreprendre ses propres recherches autour de cette affaire obscène qui parasite de plus en plus sa vie et l’état mental du spectateur.





Les Choses Humaines, La fille au bracelet, Le procès Goldman, Saint Omer, Anatomie d’une chute, le film judiciaire à le vent en poupe actuellement dans les sphères du cinémas françaises, mais avec Les Chambres Rouges, Pascal Plante introduit dès lors le Québéc en pole position des meilleurs représentants du genre. Du moins à moitié, car malgré ce que son entame peut penser, Les Chambres rouges n’est pas un film de procès, et passé une longue introduction en plan séquence qui donne au moins le ton du film, on comprend vite que Pascal Plante va aborder le quotidien de Kelly-Ann… Non car en réalité elle va de plus en plus se lier avec l’une des groupies, Clémentine dont l’adoration (de la présomption d’innocence) du dénommé Démon de Rosemont offre du pain béni au réalisateur en terme de thématique et d’enjeu. Sauf qu’en réalité il y a tout une question entourant la 3e et ultime vidéo de meurtre toujours perdu et qui semble animer Kelly-Anne. Bref, dit comme ça, Les Chambres Rouges parle sur ses 2 heures d’énormément de choses, et multiplie les intrigues ; ce qui est cependant loin d’être à mettre à son discrédit. Car si la formulation peut paraître brouillonne, c’est pour mieux souligner le talent de Pascal Plante à non pas compiler différentes intrigues en une, mais réussir à creuser aussi profond que son sujet pouvait lui permettre, et arriver à implémenter toutes ses trames au fur et à mesure, avec une fluidité hors normes. En réalité, je pense que la raison d’une telle limpidité dans l’écriture de Pascal Plante est avant tout dû à ce qui semble être pour moi sa note d’intention principale, soit réaliser un portrait de femme, car ce qui m’a fasciné dans Les Chambres rouges, c’était aussi et surtout d’en apprendre de plus en plus sur Kelly-Anne. Quelles sont toutes les facettes de son obsessions, et pourquoi, plus largement vient-elle quotidiennement au procès du Démon de Rosemont : la simple curiosité, l’assouvissement de pulsions fanatiques, ou plutôt celles d’enquêtrices ? Plus le film avance plus le metteur en scène nous donne des clefs pour comprendre la psychologie de son héroïne, mais en ne donnant pas la réponse directe, en ne commentant pas l’action, il garde une ambiguïté salvatrice qui rend le long-métrage d’autant plus passionnant et perturbant. En effet, si on arrive à rentrer en empathie avec la dénommée Kelly-Anne, plus le film avance, moins on semble certain de la motivation exacte de ses agissements que ce soit en ligne ou à l’extérieur, à cause, justement, des différentes clés que nous donne Pascal Plante. Certaines scènes deviennent tout simplement oppressantes et malsaines, tendant à la fois dans l’investigation et l’intrusion, et ça en devient presque drôle de voir à ce point les rôles s’inverser, le tueur devient sous certains mots une victime, et l’une des « final girl » se met à avoir des agissements de plus en plus suspects, jusqu’à une quasi scène d’home invasion.


Au-delà de sa prémisse en apparence simple, Les Chambres Rouges est donc pour moi un film très complexe et très dense, qui prend des directions insoupçonnées avec une habileté impressionnante tout en exploitant et explorant les multiples facettes que revêt son intrigue. Or, là où le metteur en scène est très fort, c’est que plus que de questionner la moralité de ses personnages, de faire de leurs actions un nid à suspens et de son contexte juridique sur la dualité entre présomption d’innocence et réaction émotive par rapport à la violence des chefs d’accusation. Le plus fort et fou c’est que Pascal Plante arrive à dévier son autopsie de personnage vers le spectateur, qui sans devenir acteur du long-métrage voit ses nerfs être mis à rude épreuve et son positionnement d’omniscience utilisé pour être d’autant plus manipulé. En effet, comme dit plus haut, le réalisateur a l’intelligence de ne pas commenter son action, si j’exclus la scène de procès introductive qui donne le ton du film et le contexte des meurtres, le réalisateur n’hésite pas à faire tomber son film dans le silence, le mutisme, et fait confiance au spectateur qui peut dès lors interpréter les-dites actions à sa guise. Sauf que le film va dans tellement de directions différentes, des directions imprévisibles, et les personnages apparaissent si complexes, que je me suis pour ma part senti non seulement mal à l’aise, mais en plus dans le brouillard complet, et il m’étais presque impossible de ne pas me sentir perdu, ce qui accroît encore plus le sentiment de malaise. C’est autant le cas lors des séquences d’interrogatoire, glaciales et froides, sans réel spectacle apparent et où Kelly-Anne reste de bout en bout mutique, que lors de scènes d’investigations qui détonnent par leur caractère mystérieux dont seule la finalité laisse un semblant de résolution. Une ambiguïté froide, pour ne pas dire neutre, alimentée par l’utilisation d’internet dans certaines séquences où le personnage s’adonne à des recherches en ligne sans qu’on en comprenne précisément le but, jusqu’à en revenir à une activité tout à fait banale comme si de rien n’était ; un peu une banalisation du mal en quelque sorte, où la frontière entre une conversation cryptée et une vidéo de coaching ne sont jamais loin, et où la simple utilisation d’un google map peut avoir une portée bien plus malsaine qu’attendu. Toutes ces réussites dans l’écriture n’auraient je pense, cependant, pas été possibles sans les performances de Juliette Gariépy (Kelly-Anne) et Laurie Babin (Clémentine) qui forment toutes deux un tandem complémentaire bien que loin d’être égaux dans leur fascination respective. Si Kelly-Anne est une mutique sûre d’elle qui joue merveilleusement un sentiment de fausse neutralité, de fausse assurance, Clémentine résonne bien plus comme le stéréotype de la groupie, qu’on rencontre par ailleurs devant des micros en train de défendre son idole. Pourtant les deux ont une alchimie vraiment forte et partagent des scènes qui le sont tout autant, elles creusent plus profondément encore les couches entourant la fascination pour un serial killer. Une scène particulièrement forte selon moi, c’est quand tous les « spectateurs » du tribunal sont mis à la porte à la lecture des deux vidéos, puis Clémentine elle, reste devant la porte nous laissant entrapercevoir l’horreur, alors qu’un départ précipité et un évanouissement surviennent dans la salle. Bien qu’elle dise vouloir revoir la vidéo, le réalisateur nous parle en fond de la curiosité morbide, le sentiment de vouloir voir jusqu’au bout les pires horreurs même en connaissant les conséquences irréversibles. Puis passé ses deux héroïnes, quel personnage plus mystérieux, mutique et pourtant lourd de sens que Ludovic Chevalier, dont tout tourne autour de lui malgré son rôle de fond. Beaucoup ont parlé d’un jeu de regard effectivement glaçant qui scelle jusque-là un semblant de culpabilité pour le tueur, qui semble presque nous faire un aveu sans le moindre dialogue. Mis à part cette scène hors normes, il est là, juste là en fond, assis sans la moindre émotion avec une posture néanmoins parfois étrange, il reste jusqu’au bout ce puits de mystère et d’interrogation, bien que son interprétation radicale mais remarquable laisse entrapercevoir le sentiment de fascination qu’il peut inspirer.





Il y avait énormément de choses à dire sur l’écriture très ambiguë et pour moi profonde des Chambres Rouges, mais, au demeurant, il est peu dire que Pascal Plante livre je pense avant tout, un véritable bijou de mise en scène. Pour moi, ça en est même un petit miracle en deux points, et tout logiquement, je vais aborder le premier point dès maintenant, même si ce que je considère être un miracle pourrait au contraire être la porte de sortie de certains spectateurs. Disons que, même si j’ai vu peu de retour similaire encore, beaucoup pourraient trouver que Pascal Plante est grossier dans sa mise en scène, qu’on voit à des kilomètres sa caméra qui devrait plutôt s’effacer qu’être omniprésente, ce qui peut légitimement gâcher le sentiment d’immersion que le metteur en scène tente d’installer. Cependant pour ma part, bien que certains passages m’aient un premier temps donné le sentiment de voir un réalisateur prouver ses facultés de mise en scène, j’ai sinon trouvé le reste des exercices stylistiques de Pascal Plante réfléchis, cohérents et puissants. A vrai dire, je pense que plus que d’être un exercice simplement visuel, la mise en scène des Chambre rouges épouse avant tout autant sa condition de thriller psychologique et les névroses qui hantent son héroïne. La scène d’introduction, au premier jour du procès, est pour moi équivoque dans cette idée, le réalisateur utilisant le plan-séquence pour nous faire vivre en temps réel cette première audition, avec des mouvements de caméra sophistiqués qui suivent les personnages dans leur raisonnement plus qu’on suit le déroulé de l’affaire. L’atmosphère est très glaçante, très cru, tout semble palpable et malgré que (pour l’instant) aucune image graphique ne soit réellement montrée, les différentes descriptions font vraiment froid dans le dos, les mots sont extrêmement bien choisis et les interprétations très juste dans le domaine de la plaidoirie. Quoiqu’il en soit, cette précision extrême apporte selon moi une dose supplémentaire de malaise au film, qui est tout simplement clinique, et quand le metteur en scène met en avant la sordidité de son affaire par le biais de pièces à conviction, le malaise laisse juste place à l’horreur. Pour autant, le film sait aussi jouer dans une cour plus visuelle, certes moins subtile, mais tout autant si ce n’est plus puissante. Une séquence particulièrement malsaine selon moi arrive à merveilleusement bien retranscrire le sentiment d’être observé. Alors que la caméra devient plus nerveuse que jamais, traquant littéralement le regard et les mouvements de Kelly-Anne afin que le spectateur ressente le sentiment d’oppression de la protagoniste, qui part sa longueur, se mue petit à petit en inconfort total et viscéral. Ce genre de moment qui met les nefs à vif, le film en est remplis, notamment dans ses séquences d’home invasion, mais plus que de toutes les citer, je me devais de mettre en avant, dans l’exercice de créer un thriller psychologique suffocant, le travail de la bande-son qui est tout simplement magistrale et réalisé par Pascal Plante. En particulier le thème « Resurrection » qui est d’un glauque absolu et qui mélange des sonorités presque divines avec des cris d’horreur saturés qui augmentent comme rarement le sentiment d’inconfort ainsi que la puissance même des images que le réalisateur sait magnifier. Pour autant, bien que la musique arrive à donner une puissance inespérée aux images, le réalisateur sait garder son silence de plomb, ne surligner ses émotions que quand les scènes en sont le plus propice ; et marque d’autant plus le contraste entre un accompagnement musical et une image plus brute. Je n’aborderai même pas en profondeur l’utilisation du montage, qui permet d’amplifier la puissance de certaines séquences, à la fois dans la coupe que la longueur des séquences (et plans-séquences), mais qui garde toujours dans son girond Kelly-Anne, qui renforce un sentiment d’oppression et de malaise. Deux émotions viscérales qui m’a fait adorer Les Chambres Rouges, qui ose malmener son spectateur avec un sujet tout aussi terrible, et qui par son imagerie glaçante, arrive à la fois à créer de grands visuels que des émotions puissantes et sans concessions.


Maintenant, parlons du second miracle de mise en scène que Pascal Plante réussit à créer avec Les Chambres rouges. Tout simplement de concrétiser autant dans le fond que la forme, le sentiment de mystère et de trouble qui lie l’horreur à internet et au numérique. Je dirai même que le réalisateur donne une leçon de mise en scène à des œuvres telle qu’Unfriended qui utilise avant tout comme gadget l’ordinateur et les recherches sur internet, quand Les Chambres Rouges l’utilise pour approfondir ses thématiques et ose appréhender l’écran… comme un écran. Pas d’incrustation ou de split-screen ici, mais des plans bruts sur ces écrans, alimentés par des panots fluides pour passer d’un écran à l’autre. Je passe certaines incrustations (un peu plus grossières je trouve) de pixels ou encore un échange glacial qui utilise presque le son du clavier comme suspens et en revient au cœur du long-métrage, une légende du dark net qui terrorise les uns mais qui n’a de cesse d’alimenter l’imaginaire des autres : les red room, donc chambres rouge en français/québécois. Un espace crypté, dans lequel, contre un peu de monnaie, on peut accéder à des vidéos de torture et de meurtre, et où le Démon de Rosemont y a partagé ses vidéos snuff. Le film arrive très bien à maintenir un sentiment de mystère sur ce programme tout en gardant sa direction artistique profondément clinique, qui tenterai tant bien que mal d’expliquer, de rationaliser ce genre d’obscénité. Dans sa mise en scène, Pascal Plante essaye autant que faire ce peu de garder un maximum de pudeur par rapport à la violence de son sujet, et comme beaucoup ont pu le souligner, il n’y pas d’image frontales des meurtres ou de toute autre scène un tant soit peu choquante. En revanche, le film est comme je l’ai dit, viscéral et n’hésite pas à malmener son spectateur par le biais du hors champ notamment ; un simple aperçu de la vidéo, le son couvert par une porte, les simples lumières rouges qui illuminent Kelly-Anne et Clémentine, tout ce genre d’idées viennent donner du corps à un crime qu’on ne pourra qu’entrapercevoir, mais qui effraie déjà assez pour qu’on se sente déjà très mal à l’aise et rentre en empathie avec les personnages. Rarement l’imagerie du web a été mise aussi bien à profit sans pour autant paraître omniprésente, putassière et artificielle. Derrière les grands élans de mise en scène, c’est par le diable dans les détails que Pascal Plante clou le spectateur à son fauteuil par le biais d’un environnement qu’il croit connaître, mais qui est pervertit avec une force tranquille, une mise en scène froide, qui met à mal son spectateur. Enfin, plus que d’être terrifiante et morbide, la mise en scène liée au numérique n’est pas simplement bien exécutée, elle redonne aussi vie au caractère cryptique de nombreuses légendes d’internet, et plus que de simplement proposer de la grande mise en scène, Pascal Plante prouve en plus qu’il connaît et aime sincèrement le sujet qu’il traite avec une maîtrise aussi inattendue que remarquable.




Les Chambres Rouges fait partit de ces petits films sortis de nulle part qui tutoient les plus grands, et Pascal Plante rentre selon moi immédiatement dans le girond des metteurs en scène à surveille d’extrêmement près, tant sa maîtrise de tous les éléments techniques semble irréprochable et teintée d’ambitions. C’est d’autant plus puissant que ce dernier arrive à mêler un récit et un fond extrêmement riche, qui tiennent en haleine de bout en bout, avec une mise en scène et direction artistique qui met les nerfs à vif, notamment grâce au jeu d’acteur imparable de son duo d’actrice comme son Démon de Rosemont qui devrait ne plus quitter votre esprit pour les jours à venir. C’est aussi à ça qu’on reconnaît les grands films, c’est quand ils marquent pendant le visionnage, mais qu’ils hantent aussi bien après le spectateur.

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le 18 janv. 2024

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