Il y a eu ce moment où tout s'est concentré. Un instant à la fois bref et étiré, que l'on voit arriver, que l'on pourrait même décrire à l'avance, avec un coup de coude à son voisin : "Je te parie que dans une minute...". Un truc gros comme une maison.
Et pourtant, parce que le cinéma est un couteau Suisse où chaque outil compte autant que l'autre, ce moment que l'on nous laisse anticiper, cramponné à notre siège, en apnée, on se le prend comme une gigantesque décharge électrique. Soudain, l'addition d'un regard qui pivote enfin, d'un contre-champ au ralenti, de la B.O grondante et sourde qui explose, saturée d'un cri d'outre-tombe, et c'est toute l'horreur du hors-champ et du narratif au scalpel qui nous tombe dessus. Une leçon de cinéma.
A cet instant, pour la première fois de ma vie peut-être, j'ai physiquement ressenti l'expression "glacer le sang dans les veines". Et je suis à peu près sûr de ne pas avoir cligné des yeux pendant le quart d'heure qui a suivi, incapable de sortir d'un effroi qui me faisait encore frissonner en rentrant chez moi une heure après.
En osant jouer la carte du temps réel et des plans séquences du film de procès livide, en empruntant à David Fincher et Steve McQueen le sens de l'auscultation de la névrose obsessionnelle et hygiéniste, en construisant un suspense de plus en plus implacable malgré certains aspects prévisibles (voire grossiers) du scénario, en jouant brillamment du sound design (l'angoisse semble presque toujours venir de la musique ou des sons), et en remplaçant l'horreur frontale du serial killer par les arcanes non moins épouvantables d'un dark web au voyeurisme mortifère, Pascal Plante donne avec Les Chambres Rouges à la décennie 2020 ce que Le Silence des agneaux a offert aux années 1990 : le grand thriller fascinant et terrifiant dont il faudra se remettre.