Présenté à Cannes et primé à Deauville, "Les Chatouilles" est une adaptation d'une pièce de théâtre écrite et jouée par Andréa Bescond et mise en scène par Eric Métayer, les deux réalisateurs du film. C'est un film choc qui traite un sujet sensible avec légèreté : la pédophilie. Récemment, "Un amour impossible" a aussi mis le sujet sur le tapis. Le résultat est le même : bouleversant.
On rencontre Odette, une danseuse professionnelle au caractère fougueux qui fonce dans la vie tête baissée. Un jour, elle ressent le besoin de se libérer d'un poids auprès d'une inconnue, une psychologue près de chez qui fera très bien l'affaire ! Elle a été abusé sexuellement étant enfant et ce secret, qui a été profondément enfoui en elle pendant des années, ressurgit telle une bombe à retardement. Difficile de se contenter de la danse comme moyen d'expression, il va falloir que ça sorte, et par les mots, en se remémorant ses souvenirs lointains.
"Les Chatouilles" est une vraie révélation, un coup de poing enlacé d'un gros coup de coeur ! Le premier film de ce duo de réalisateurs dit la vérité, une vérité enfouie, cachée, secrète et douloureuse avec une légèreté étonnante. Via des souvenirs d'enfance violents et répétitifs, Odette se souvient de la violence à laquelle elle a été confrontée. Violence qui se traduit d'abord par une corporalité agitée, soudaine, qui voit en la danse une échappatoire libératrice. Mais ce vecteur d'émotions ne suffit plus et cette violence doit se traduire autrement, par les mots, la résilience et le courage de se confronter à son traumatisme refoulé. "Les chatouilles" va donc nous transporter des scènes du présent à celles du passé, alternant entre humour et confession à vif. Le récit, d'ailleurs, assez décousu à l'image de souvenirs qui remontent à la surface, apporte un décalage singulier et rythmé. En effet, le cadre spatio-temporel est totalement azimuté, confondant les personnages, les lieux et les temporalités au bon gré d'Odette et de son impulsivité incontrôlable. Les transitions sont justes et originales et ne font jamais perdre de force à la véracité du propos qui dégage une violence sourde et insupportable pour le spectateur qui assiste à une perversité de l'âme aussi simplement décrite.
Outre la mise en scène, qui laisse entrevoir les origines théâtrales du projet, ce sont les acteurs qui nous font parvenir cette bourrasque d'émotion et de sincérité. Andréa Bescond, réalisatrice et actrice principale du film, interprète avec subtilités un personnage complexe dont les séquelles sont très marquées dans son comportement parfois incompréhensible d'un oeil extérieur. Elle fait face aux prouesses de jeu d'une Karin Viard très dure et d'un Pierre Deladonchamps innocent jusqu'à preuve du contraire. L'une interroge sur tous ses non-dits, sur ses silences et sa colère envers sa fille unique et l'autre déstabilise par sa douceur et son impeccable contre-emploi bien loin de tous clichés sur ce qu'est un pédophile. Heureusement, les seconds rôles de Clovis Cornillac, Carole Franck, Grégory Montel et Ariane Ascaride donnent de l'air suite à l'étouffement émotionnel de certaines scènes.
Ce qui rend le film si beau et touchant, c'est son manque de fatalité et de négativisme. Odette s'est reconstruit malgré sa colère. Il y a une volonté de vivre, d'exister en tant que femme, de renaissance. Le film ne triche pas et, par ses scènes imaginaires, donne une perspective d'espoir à ceux qui restent dans le silence, par peur ou par choix. La dernière scène où Odette se parle à elle-même plus jeune reflète toute la bienveillance pacifiste et constructive du film. J'ai rarement senti une émotion aussi palpable dans la salle et "Les chatouilles" a réussi à nous sentir tous concernés...

alsacienparisien
9

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le 21 nov. 2018

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