Adaptation d’un seul en scène à succès, Les Chatouilles réussit son passage sur grand écran avec éclat, vitalité et panache. La dureté du sujet, la pédophilie, est abordée frontalement, ses traumatismes irréversibles sont clairement exposés mais ses effets mortifères sont contrebalancés par des élans de rage, de vie qui font des Chatouilles une œuvre à la fois lumineuse et indispensable pour ce qu’elle raconte. La mise en scène conserve une expression très théâtrale mais en prenant en compte les codes du cinéma avec une épatante maturité pour un premier film. Elle allie ingéniosité et liberté, fait évoluer ses personnages, en particulier Odette et sa psy, dans différentes temporalités, différents lieux, elles sont successivement actrices ou spectatrices. La façon dont Odette entraine, un peu de force au début, sa thérapeute dans son histoire donne lieu à de passionnants échanges, parfois drôles, parfois dévastateurs. Leurs incursions dans le passé d’Odette, ses souvenirs, ses rêves parfois fantasmés sont mis en scène avec créativité et fluidité. On y retrouve l’énergie et l’inventivité de Eric Metayer, co-réalisateur du film et compagnon de Andréa Bescond qui avait notamment proposé les 39 marches au théâtre, en multipliant habilement les changements de décors. Les nombreuses chorégraphies viennent souvent illustrer l’état d’esprit de la jeune femme. La danse comme premier catharsis, avant que la parole et le verbe ne prennent le relais et se révèlent le seul chemin vers une possible libération.
C’est dans cette étonnante et convaincante narration que Les Chatouilles trouve un parfait équilibre pour parler sans plomber d’un sujet aussi dramatique.
L’interprétation de Andréa Bescond est parfois excessive, sa rage et son énergie débordent un peu trop de l’écran, mais elle est compensée par sa sincérité et tempérée par les performances plus maitrisées des comédiens qui l’accompagnent, tous d’une imparable justesse. Pierre Deladonchamps est glaçant en monstre ordinaire, mais ce sont surtout les parents de la petite fille (formidable Cyrille Mairesse) qui épatent le plus. Cornillac est bouleversant en père bienveillant et Karin Viard exceptionnelle dans un rôle d’une effroyable dureté, qu’elle n’essaie jamais d’adoucir, celui d’une mère refusant d’admettre l’impensable, s’enfermant dans un déni destructeur.
En se teintant d’un onirisme cruellement pragmatique, Les Chatouilles peut dénoncer les plus affreuses vérités tout en montrant un chemin vers la résilience, même long, même parsemé d’embuches. Un film au cœur battant, mais surtout d’une puissante et indispensable valeur testimoniale.

Thibault_du_Verne
8

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste TOP FILMS 2018

Créée

le 19 nov. 2018

Critique lue 493 fois

4 j'aime

Critique lue 493 fois

4

D'autres avis sur Les Chatouilles

Les Chatouilles
flogrnr
9

Cri dansant

Les Chatouilles n'est pas une histoire de viol. Ce n'est pas une histoire d'enfant traumatisée, de victime qui ne s'en remet pas. Au contraire. C'est une histoire de vie au-delà du viol, de la...

le 8 nov. 2018

71 j'aime

Les Chatouilles
CelieBacconnier
10

« Ta main sur mon cul, ma main sur ta gueule. » Si seulement

Je n’avais pas envie de voir « Les chatouilles ». Le titre me plaisait, le synopsis un peu moins. Qui a envie de légèreté se détourne de ce genre de sujets... La pédocriminalité, donc. Et...

le 21 mai 2018

55 j'aime

4

Les Chatouilles
xlr8
9

Mon coeur saigne...

Dès la première scène (après l'introduction dansée), ce film me donne la rage... Cyrille Mairesse, qui joue le rôle d'Odette enfant, est solaire d'innocence. Pierre Deladonchamps, lui, est plus que...

Par

le 8 nov. 2018

29 j'aime

1

Du même critique

Ma Loute
Thibault_du_Verne
3

MA LOUTE – 6/20

Autant le dire d’emblée, Ma Loute m’est passé complétement au-dessus. Comédie burlesque, voir grotesque, empreinte d’une excentricité peu commune, le film de Bruno Dumont est si singulier qu’il ne...

le 23 mai 2016

42 j'aime

7

The Strangers
Thibault_du_Verne
4

THE STRANGERS – 8/20

Le mélange des genres est un exercice assez courant dans le cinéma sud-coréen (on se rappelle de l’ovni The Host de Joon-ho Bong), ce n’est pas ce qui étonne le plus à propos de The Strangers. On ne...

le 27 juil. 2016

38 j'aime

En attendant Bojangles
Thibault_du_Verne
6

Cinéma | EN ATTENDANT BOJANGLES – 13/20

Tombé sous le charme de cette fantasque histoire d’amour à la lecture du roman d’Olivier Bourdeaut, j’étais curieux de découvrir quelle adaptation Regis Roinsard allait en tirer, lui qui a prouvé...

le 22 janv. 2022

26 j'aime