Quoi de plus innocent que des enfants qui jouent au football sur un terrain vague ? Rien, sauf lorsque la situation s’échauffe un peu. Hammid, un garçon de 13ans, intervient et repousse un des 2 camps avec une grosse chaîne qu’il agite au-dessus de sa tête. Alors qu’une partie des enfants recule, Hammid, son petit frère Terek, et le reste de l’équipe s’enfuient en courant, se faufilent au travers d’un mur en parti écroulé, s’échappent dans des ruelles sordides, puis traversent une autoroute. La caméra s’envole et nous dévoile les bidonvilles de Casablanca.
Il ne s’est pas encore écoulé 10 minutes du film, que nous réalisons déjà que nous allons suivre les destins condamnés d’Hammid, apprenti voyou pour subvenir au besoin de la famille, et de Terek, qui rêve de devenir le plus grand gardien de but.


Mais le film de Nabil Ayouch ne choisit pas juste de montrer 2 jeunes enfants courants les bras ballants dans les rues de bidonvilles marocains. Car oui, il y a cette envie de pointer du doigt une misère dans laquelle on tente tant bien que mal de s’en sortir. Oui, on nous prouve que dans les bidonvilles on apprend à être violent et à être violenté dès l’enfance comme si de rien n’était. Et oui, on nous montre comment en 10ans le paysage est devenu musulman, voir même s'est complétement transformé vers un extrémisme grandissant. Et surtout, comment c’est facile de devenir un martyr d’Al Quaida quand on n’a absolument rien à perdre et tout à promettre.
Le réalisateur apporte ici un regard simple et qui a su éviter le cliché. Le film ne cherche pas à expliquer ou justifier, mais réellement à montrer. Un peu comme le film d’Abbas Kiarostami : Où est la maison de mon ami ? où le spectateur peut suivre les tribulations d’un enfant qui perçoit une société plutôt déroutante et figée sous le poids des interdits. Ici, on accompagne ces 2 frères qui tentent non pas de grandir mais de survivre. Le plus grand a pris l’ascendant sur le plus petit. Hammid par ses belles paroles semble accaparer toute l’attention de sa mère. La caméra filme, placée à hauteur de leur regard, les petits yeux de Terek qui fixent jalousement Hammid. Puis c’est Hammid une fois grand qui jalousera Terek lorsque celui-ci réussira à s’attirer la sympathie d’Abou Zoubeir, un leader extrémiste.
Ce qui rend les personnages encore plus touchants, c’est peut-être les rêves un peu fous de Terek (devenir footballeur professionnel et se marier avec Gishlaine, son amour d’enfance) qui dans un contexte de civilisation européenne comme la nôtre serait complètement ridicule mais apparaît ici comme la seule branche d’espoir à laquelle on peut s’accrocher. La caméra suit constamment à hauteur de leur regard leur avancé dans la vie. Un frère dans l’ombre de l’autre. L’image est d’ailleurs très contrastée et place judicieusement et littéralement un des 2 frères dans l’ombre lors des scènes d’intérieures. La caméra s’envole par intermittence comme pour clôturer la fin de l’enfance ou de l’innocence. On nous laisse sur une mer de bidonvilles ou sur un immense terrain vague de déchèterie avec absolument aucune construction de civilisation à l’horizon. Parfois avec une certaine lenteur mais surtout avec une certaine poésie, le film rythme la vie d’Hammid et de Terek qui s’écoule doucement et maladroitement. Des plans de l’Usine qui surplombe le terrain vague rappellent sans cesse que les perspectives d’évolution pour nos 2 protagonistes sont plus que limitées. Comment s’en sortir ? en s’envolant ? en disparaissant ? Mais le ciel a très peu de place dans la composition du cadre, ou lorsqu’il est visible enfin c’est pour nous éblouir, nous brûler vif comme une explosion. Ironie du sort, c’est ce qu’on promet aux martyrs qui acceptent de se sacrifier. Le ciel ici ne nous apportera pas de salut véritable… Sortir des bidonvilles c’est en réalité pour Hammid et Terek courir à leur perte.


Des Chevaux de Dieu retranscrit la réalité d’une jeunesse fragile, désabusée et facilement manipulable en l’exposant simplement mais efficacement. On ne peut qu’accepter ce qui arrivera fatalement aux 2 frères. On partage leurs angoisses, comprenons les motifs de leur résolution, envenimée pour chacun par l’envie de faire mieux que l’autre, et finalement subissons avec eux un destin peu enviable. On accepte amèrement ce qui, jusque-là, n’avait jamais été vu aussi justement depuis un fauteuil de cinéma.

Kolynou
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le 28 juil. 2016

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