Dans la courte filmographie d'Alain Jessua se nichent deux perles : "Paradis pour tous", formidable comédie satirique d'anticipation, et ces "Chiens", terrible miroir de la société française actuelle.
Avec presque quarante ans d'avance, lui et son co-scénariste André Ruellan, semblent avoir renifler ce qui gangrène et tue à petit feu le monde occidental moderne : la dictature du bonheur et du paraître dans le premier, et ici le repli sur soi, la haine de l'étranger.
Tout comme Samuel Fuller en 1982 dans "Dressé pour tuer", Jessua met en scène la férocité du molosse pour mieux démontrer l'animalité de l'homme. Celui censé se trouver tout en haut de la hiérarchie des espèces vertébrées aime chasser en meute, suivant aveuglément le "chef", le gourou qui lui a enfin désigné le responsable de ses maux : l'alter, le différent, l'inconnu.
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Je pourrais m'arrêter là, souligner que "Les Chiens" est immense thriller social à voir de toute urgence, mais ce serait trop vite oublier que la forme est aussi puissante que le fond, que l'objet artistique est lui aussi d'une modernité absolue : des images roses fluo qu'on croirait sorties de Clouzot et son "Enfer", une scène canido-érotique hallucinante entre un Depardieu monstrueux et une Calfan transie à la vue du pouvoir, ou cette autre filmée au ralenti "Royal Canin" dans laquelle le Gérard et sa chienne (celle à quatre pattes cette fois) se livrent à une parade nuptiale au bord de l'eau à mourir de rire et d'effroi ( « T'es une pute mais je t'aime » ). A noter que le reste de la distribution est au même niveau d'excellence, Victor Lanoux en tête, ou encore une Fanny Ardant à ses débuts.
Bref, vous l'aurez compris, ici tout le monde est enragé et à en croire le JT, Pasteur a plus que jamais du pain sur la planche.
« Les noirs c'est déjà pas facile à reconnaître le jour, alors la nuit... »
« - Alors parlez-moi de ces insomnies Madame.
- Eh bien c'est quand j'mendors que j'arrive pas à m'endormir. »
« - Mon mari qui est concierge à la mairie, c'est un homme.
- Oui j'men doute. »